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dépassé par le premier journal quotidien, le Daily Courant, de 1709, qui n’est lui-même qu’un pygmée auprès du Times de 1788. Celui-ci pourtant n’était pas aussi grand que ses contemporains du Herald et du Chronicle, et n’était pas la moitié de ce qu’il est aujourd’hui. L’agrandissement continuel mieux encore que la multiplication des journaux montre quel a été d’année en année le; développement de la curiosité publique, toujours plus exigeante et étendue à plus de sujets. Il marque aussi d’une façon indirecte les progrès de la puissance de la presse, dont cette curiosité générale est à la fois l’origine et le point d’appui. Ce n’est pas d’eux-mêmes que les journaux tirent leur force, mais de ce besoin universel d’informations que seuls ils peuvent satisfaire. Rendez la nation indifférente aux affaires publiques, et ni talent ni sacrifices d’aucune sorte ne pourront empêcher les journaux de languir. Il ne faut donc juger de la puissance réelle des journaux ni par leur nombre ni par la liberté dont ils jouissent. Nulle part ils ne sont plus nombreux et plus libres qu’aux États-Unis, nulle part peut-être ils n’ont moins d’influence; on a vu au contraire, en France, sous la restauration, deux ou trois feuilles lilliputiennes, sans cesse aux prises avec la censure, gouverner l’opinion publique. La presse anglaise est de nos jours encore celle qui a le plus de crédit sur les lecteurs auxquels elle s’adresse, aucune pourtant n’a eu à lutter contre des entraves plus fortes et une persécution plus longue.

Il y a soixante ans à peine que l’imprimeur d’un journal a subi encore à Londres la honte du pilori. A partir du commencement de la guerre d’Amérique, les poursuites contre les journaux devinrent presque quotidiennes en Angleterre, et, aussitôt que le contre-coup de la révolution française se fit sentir, elles prirent un tel caractère d’acharnement, que l’un des chefs du parti whig, Sheridan, crut devoir fonder une Société des amis de la liberté de la presse, pour venir en aide aux journaux menacés dans leur existence. On remplirait vingt pages avec la simple nomenclature des condamnations prononcées contre les journaux anglais dans les soixante années qui se sont écoulées de 1770 à 1830. Ce sont les procès de presse qui ont fait la réputation et la fortune politique d’Erskine, de Mackintosh, de Brougham et de la plupart des hommes distingués du barreau anglais. On n’a pas oublié le bill dit des six actes que lord Castlereagh fit voter en 1817 par le parlement. Ce bill ne contenait pas moins de six lois différentes contre la presse. En quelques mois, il peupla les prisons de journalistes; il contraignit un célèbre écrivain radical, Cobbett, à se réfugier aux États-Unis, et il réduisit toute la presse au silence. Il fut suspendu deux ans plus tard, et en vérité lord Castlereagh n’avait pas besoin de cette législation exceptionnelle, car la législation ordinaire, qui subsiste encore aujourd’hui sans modification aucune, était parfaitement