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Serbes n’ont fait que très peu de traductions des langues européennes; nos génies les plus sérieux leur sont seuls familiers : les romans, qui abondent en Occident, n’ont rencontré chez les Serbes qu’un profond dédain. Qu’on reproche tant qu’on voudra à ces hommes de n’être pas encore une nation centralisée intellectuellement à la façon des autres nations savantes : ils n’en ont pas moins enrichi l’Europe d’une nouvelle et fraîche littérature, l’une des plus poétiques qui existent.


V. — TENDANCES NOUVELLES DES QUATRE LITTÉRATURES SLAVES.

Nous avons essayé de suivre simultanément les quatre littératures slaves dans leur période classique et dans leur période contemporaine. Si l’on voulait maintenant comparer l’une de ces périodes à l’autre, mettre les productions classiques des lettres slaves en regard de leurs œuvres nouvelles, que trouverait-on? D’abord on voit chacune des quatre grandes littératures slaves, avant d’atteindre sa période nationale et individuelle, végéter de longs siècles sous le joug étranger, joug latin pour les unes, joug grec ou asiatique pour les autres. Il en est résulté ce fait anormal, que chez les Slaves l’épanouissement prématuré de la prose a partout précédé celui de la poésie. La littérature polémique, satirique et pamphlétaire, au lieu de fixer la langue en Slavie comme dans le reste de l’Europe, n’y a au contraire marqué que l’époque de transition, l’époque de combat et de délivrance du joug étranger, et c’est la poésie seule qui, long-temps après la prose, est venue donner à chaque littérature slave sa signification historique et sa mission européenne.

C’est donc par la poésie que s’accomplit le progrès chez ces peuples; c’est par la poésie qu’ils pensent. Or on peut dire que la poésie nationale est chez les Slaves une création contemporaine. où a beau élever jusqu’aux nues les poètes du siècle d’or des littératures tchèque, polonaise et illyro-serbe : quand on en vient à les étudier sérieusement, on s’aperçoit qu’ils n’ont de slave que l’enveloppe; leur idéal, leurs tournures, le mécanisme même de leurs œuvres, sont encore empruntés à l’antiquité grecque. Les plus beaux sentimens de patriotisme prennent chez eux une couleur étrangère au sol. Quelque sublimes qu’ils soient, on sent, à les lire, que la conscience de la nationalité n’est pas encore entrée dans la littérature. La supériorité de l’époque actuelle sur toutes les époques précédentes consiste dans le triomphe de cette idée de nationalité, devenue générale et tout aussi palpitante chez les vaincus que chez les vainqueurs. Il y a, si l’on veut, décadence dans la forme; mais l’idéal, le but national, a immensément grandi devant l’esprit des poètes, et on n’en citerait pas un seul qui n’en soit aujourd’hui plus ou moins animé.