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et latine se trouvaient comme providentiellement rapprochées en Pologne. Hostiles partout ailleurs, les deux églises ici se tendaient la main avec amour. Le Bug et le San, qui séparent vers le sud les deux confessions rivales, ne servaient point de frontière à la Pologne libérale, qui avait porté bien au-delà de leurs rives, et jusqu’à Kiœv même, capitale des Russes méridionaux, l’influence salutaire de sa civilisation; le Dnieper lui-même, ce fleuve sacré des Ruthéniens, qui marque la limite des deux mondes européen et asiatique, coulait sous la loi polonaise. A quelle immense puissance ne serait point parvenue la Pologne en conservant ces positions! Mais pour cela il lui fallait observer fidèlement le principe fédératif slave. Faute de savoir le respecter vis-à-vis des Ruthéniens, la Pologne s’aliéna tous ses confédérés d’Orient et amena, avec l’avènement des tsars, sa propre ruine.

N’ayant jamais obtenu une puissance politique comparable à celle de la Pologne, les B nèmes ont de bonne heure tourné leur ambition vers les gloires et les conquêtes de l’intelligence. Leur idéal d’action sur le monde, depuis Jean Huss jusqu’à ce jour, n’a pas cessé d’être scientifique. On trouve le patriotisme bohème à sa plus haute expression dans la fameuse secte des frères moraves, secte admirablement cosmopolite, mais qui n’en est pas moins déchue pour avoir séparé le fait d’avec la théorie, la vie d’avec son but, et la morale d’avec la tradition. Ainsi, trop spéculatif, le patriote bohème s’égare dans l’abstraction. Son suprême bonheur serait d’étendre les affiliations de la matitsatcheska (ruche ou société bohème) à toutes les académies de l’Europe et du monde. Qu’on le laisse au milieu de ses élucubrations rétrospectives, il ne demande rien de plus. Il s’ensuit que pour lui la nationalité, c’est la langue et son libre usage, avec la liberté illimitée de la presse, de la parole, de l’industrie, de l’individu; mais de sa nationalité dans l’ordre politique, le Bohême fait bon marché.

Bien plus pratique, bien plus naturelle, ou, si l’on veut, bien plus slave, est l’idée rénovatrice et cosmopolite dont la littérature illyro-serbe est l’organe. Pour les Serbes et les Illyriens, l’idéal slave ne repose point encore sur un système savamment élaboré; naïf comme leur propre vie, il émane de leurs instincts de race, qui les portent à tendre sans défiance une main sympathique à tous les peuples. Les Illyro-Serbes ne discutent pas, ils croient. Au lieu d’écrire, ils agissent; au lieu de se défier, ils aiment. Leur génie n’est ni moqueur comme celui des Russes, ni érudit comme celui des Bohèmes; mais il est comme fondu avec tous les sentimens nobles que la nature empreint dans le cœur de l’homme, et dont une science sceptique vient seule plus tard le dépouiller. Possédant à un degré plus élevé que tous les autres Slaves le type commun de leur race, les Serbes de la Turquie ont pu empreindre ce type dans leurs œuvres intellectuelles, qui