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s’appuie, ni en réalité par aucune considération. Au contraire, ce qu’elle représente, c’est comme une croyance instinctive engendrée par l’absence de certaines considérations. Dans les faits dont l’histoire est le théâtre, l’écrivain a saisi un mouvement fort réel, qui tendait à étendre de plus en plus la part faite à la liberté; mais, en voyant cela, il a eu le tort de ne voir que cela, — et n’apercevoir qu’une force à l’œuvre, c’était l’apercevoir sans frein et sans mesure. Ne distinguer dans tout ce qui a vie que la tendance à se transformer, c’était prendre la force de croissance pour un élan effréné vers la désorganisation ; c’était se condamner à ne pas découvrir que, dans toute vie, le progrès est un effort pour élargir de plus en plus les formes de vie, autrement dit pour s’émanciper des imperfections de la veille, et non pas pour se dévêtir.

Un esprit exclusif, une intelligence qui n’a regardé que d’un côté, voilà donc ce que dénote la manière dont l’écrivain s’explique les choses du passé; et, comme tous les points d’une sphère conduisent à son centre, toutes les idées de M. Proudhon, tous ses jugemens comme historien ou ses appréciations comme critique auraient pu nous conduire à la même découverte. Il n’y a pas jusqu’à sa méthode négative, jusqu’aux formules scolastiques dont il aime à s’envelopper, qui n’attestent un penseur asservi à une idée unique. M. Proudhon, on le sait, a voulu innover. « Jusqu’ici, a-t-il écrit, toute philosophie avait commencé par poser un dogme qui, servant de base et de point de départ, ne se prouvait pas lui-même; notre principe à nous au contraire est la négation de tout dogme, notre première donnée le néant,... et c’est en suite de cette méthode négative que nous avons été conduit à poser comme principe — en religion l’athéisme, — en politique l’anarchie, — en économie politique la non-propriété. »

Tout cela n’est qu’apparence, et de fait il n’y a point là de méthode nouvelle. L’auteur des Contradictions, lui aussi, est parti d’un axiome pour se borner à en tirer les conséquences. Peu importe qu’il ait préféré affirmer la liberté absolue sous le nom d’anarchie, — on est toujours libre de donner, si l’on veut, à la marche le nom d’anti-repos; — en réalité, il a commencé par croire sciemment, ou à son insu, que la liberté était le seul besoin de l’homme, puis il a fait lui-même ce qu’il avait reproché aux autres théoriciens : il s’est contenté de regarder le monde à travers cette croyance ou cet instinct; il l’a fait rayonner sur toutes les parties de l’ordre social, et, pour se façonner toutes ses décisions, il s’est encore contenté de condamner tout ce qui, dans les choses établies, contredisait son principe.

Nous venons de toucher l’axiome fondamental du publiciste; il nous suffit de nous former une idée de sa logique, et nous verrons en quelque sorte sa notion unique se transformer sous nos yeux en son système. Ici malheureusement il s’en faut de beaucoup que M. Proudhon