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d’éducation, ils songeaient à regarder les choses pour les juger, au lieu de ne songer qu’à contredire les idées de leurs pères. Aussi ont-ils au moins entrevu le véritable mystère de la vie. Les horribles sacrifices et les divinités cannibales des premiers barbares, des terrorisés de l’ignorance, pouvaient être de grossiers symboles, mais le symbole voulait dire qu’ils sentaient à leur manière l’existence des forces inconnues. Ils se doutaient que la destinée de l’homme ici-bas n’est pas une bergerie, que dans la partie qu’il joue il a pour adversaires les fatalités qui tuent, et que c’est beaucoup quand il les triche au jeu au point de leur disputer sa vie. Nous, au contraire, derrière nos paravens, nous soupirons langoureusement pour le bonheur absolu; nous réduisons la sagesse à prendre les ordres de nos désirs, et, pour avoir l’agréable droit de croire que tout nous est possible, ou peut-être faute de pouvoir reconnaître aucun impossible, nous déclarons qu’on a calomnié l’espèce humaine en la supposant capable d’égaremens. Il faut cependant qu’on dise à ces choses leurs vérités, car ce sont elles qui désorganisent notre société, à commencer par les âmes. Si un pareil anti-christianisme était une philosophie, il serait simplement celle de l’étourderie, qui ne craint rien parce qu’elle ne prévoit rien ; mais il n’est pas même une philosophie, pas même une opinion : il est le contraire, il est l’antithèse d’une idée. Il ressemble à ces pseudo-jugemens que la jeunesse de vingt à vingt-huit ans se fabrique avec ses premières déceptions, et par pure rancune contre ses premières espérances. — Pour des hommes de vingt-huit ans, c’est fort bien; mais, quand une nation ne va pas au-delà, quand du christianisme elle se laisse emporter vers l’anti-christianisme, pour être rejetée le lendemain de l’anti-christianisme à son antipode, elle ne marche pas; loin de là : elle donne à supposer qu’elle est incapable d’avancer, incapable de se tenir sur ses jambes.

Ceci est une douloureuse morale à tirer, et nous ne voudrions pas l’étendre outre mesure. Toutefois nous pensons certainement que, parmi nos écrivains, — théoriciens et romanciers, — la grande majorité est faite pour nous donner des inquiétudes sur l’avenir du pays. L’impression qu’ils laissent, c’est que le pays est malade et qu’il ne trouve pas de médecins; c’est que parmi nous le don de la parole est très répandu, mais que le plus souvent les hommes qui s’élèvent au-dessus du niveau commun ne se distinguent de la foule que par un excédant d’éloquence et de puissance pour prêcher et mettre en œuvre les plus aveugles tendances de la foule.

M. Proudhon, ce nous semble, nous a donné un spectacle de ce genre. Il a des facultés et même des qualités. Malgré ses virulences, il ne manque pas d’une rude noblesse, et, quoiqu’il soit de la famille des esprits qui n’ont pas de largeur pour comprendre l’ensemble des