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roman ? Oh ! le roman, c’est là la merveille du xixe siècle. Nous n’avions été à pareille fête depuis La Calprenède et Scudéry.

Le roman était pourtant bien mort un jour sinistre d’hiver à la suite d’un régime qui avait eu la faiblesse de lui passer ses excès et ses folies. Il avait été lamentablement exilé du feuilleton. Pour l’achever même et par une juste assimilation, de peur qu’il ne lui prît fantaisie de reparaître au bas d’un journal, il avait été depuis, on s’en souvient, soumis au timbre, à la marque de fabrique. Il n’avait pu résister à ce dernier coup. Voici cependant que le roman renaît et cherche de nouveau cette place du feuilleton où il triomphait autrefois ; mais il n’est plus que l’ombre de lui-même, ses inventions se traînent péniblement, et il masque mal sa sénilité indigente. Enfin cela est si vrai, que le seul roman qui ait eu un véritable succès depuis longtemps et qui le mérite, c’est un roman étranger, l’œuvre émouvante d’une femme, cet Uncle Tom’s Cabin, palpitante étude de l’esclavage américain qui est venue dévoiler à l’Europe la large et secrète plaie de ce nouveau monde si merveilleux en son avènement. Uncle Tom’s Cabin paraît aujourd’hui en livre, en feuilleton, sous toutes les formes ; il a du succès, parce que c’est une peinture humaine, vraie et éloquente dans sa vérité simple et nue. Il fait pâlir les combinaisons vieillies et factices du roman français. Heureusement pourtant il paraît rester au roman en France un athlète, l’Hercule du genre, celui qui peut dire comme Médée : « Moi, dis-je, et c’est assez ! » N’avons-nous pas nommé M. Alexandre Dumas ? Qui l’aurait cru ? M. Alexandre Dumas a écrit sept cents volumes et cinquante drames, selon ce qu’il affirme, et il lui restait à écrire « l’œuvre de sa vie, » le fruit d’une « gestation de vingt ans, » un de ces livres « qui n’ont leur précédent dans aucune littérature, » puissant, épique, portant une grande pensée à travers six civilisations différentes ! On comprend que nous n’inventons rien ici et que M. Alex. Dumas a tout le mérite de cette appréciation de son œuvre grandiose ; l’ouvrage qu’il qualifie ainsi, c’est Isaac Laquedem. Monte-Cristo et les Trois Mousquetaires étaient assurément des chefs-d’œuvre de vérité humaine, on ne le nie pas ; mais Isaac Laquedem, c’est bien autre chose encore, on va de plus fort en plus fort, ce qui constitue une gradation d’une analogie non douteuse avec celle d’un personnage connu. Enfin Isaac Laquedem est un de ces livres qui font époque, et voilà pourquoi M. Alexandre Dumas a la singulière ambition de l’offrir au public des Sept Péchés capitaux, très favorable, comme on sait, aux œuvres épiques et grandioses. Quand l’idée de ce roman germa un jour dans la tête de l’auteur, il devait avoir huit volumes ; mais c’était alors encore l’âge des illusions et de la naïveté. M. Dumas a fait depuis des romans en vingt-cinq tomes, et il a compris que, pour « l’œuvre de sa vie, » il n’y avait assurément rien de superflu dans dix-huit volumes, ni plus ni moins ! — Est-ce trop d’ailleurs pour un livre qui doit embrasser « six civilisations différentes ? » Comme il est vrai cependant qu’il y a toute une littérature qui se ressemble, quelque titre qu’elle prenne, philosophie, roman, poésie ! Voici la Profession de foi du dix neuvième siècle qui part de la Genèse, qui va du minéral au végétal, de l’Inde à la Grèce, d’Athènes à Rome, de Rome à Paris. Isaac Laquedem, qui n’est qu’un roman, ne doit partir que du Calvaire « pour se dérouler à travers l’histoire de dix-huit siècles et de vingt peuples ; c’est l’ère chrétienne à