Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois, ne relève pas la maigreur du dessin mélodique. Tels sont les défauts et les qualités qu’on remarque dans presque tous les opéras connus de M. Verdi, et qu’on assurait ne point exister dans la partition de Luisa Miller, qu’il nous reste à apprécier.

L’ouverture n’est pas autre chose qu’une stretta symphonique d’un mouvement rapide, qui ne mérite pas autrement d’être remarquée. Le chœur de l’introduction, chanté par les villageois et les amis de Luisa pour fêter son prochain mariage, ne manque pas d’une certaine couleur agreste appropriée à la situation. La romance de Luisa, Lo vidi el’ primo palpito, où elle exprime à ses compagnes le bonheur d’un premier amour, rappelle note pour note la romance du premier acte d’Ernani, qu’elle est bien loin d’égaler. Le trio qui suit entre Luisa, son père et son amant Rodolfo, trio qui forme la péroraison de l’introduction, n’a rien de saillant, si ce n’est que la phrase de l’allégro en si bémol est fort connue, et se trouve dans toutes les partitions du maestro. L’air de basse, dans lequel le pauvre Miller s’efforce d’expliquer ce lieu commun de morale, qu’un bon père ne doit pas contrarier sa fille dans le choix d’un époux, pourrait être supprimé sans le moindre inconvénient. L’action y gagnerait, le public y perdrait un morceau ennuyeux et très faiblement accompagné. L’allégro surtout de cet air est une de ces phrases communes, d’un rhythme tourmenté et prétentieux qu’affectionne beaucoup le compositeur italien. L’air de basse qui suit immédiatement celui que nous venons de signaler, et que chante le père de Rodolfo, est un hors d’œuvre fastidieux qu’on ferait bien de supprimer aussi, car deux airs de suite écrits pour le même genre de voix n’indiquent pas une grande intelligence de l’économie des effets dramatiques. Un morceau tout-à-fait charmant est le duo pour ténor et contralto que chante Rodolfo avec la duchesse Frederica qu’il doit épouser. L’embarras où se trouve le fils de Walter vis-à-vis de la femme qui l’aime, mais dont il ne peut partager les sentimens, la tendresse chaste et voilée de Frederica, qui est loin de soupçonner quel est le trouble qui remplit le cœur de son fiancé, tout cela est exprimé par un andantino affettuoso d’une grâce tout élégiaque. J’aime beaucoup moins le motif de l’allégro, que je trouve commun et parsemé de points d’orgue ambitieux qu’on trouve si fréquemment dans la musique de M. Verdi. Le chœur de chasseurs sans accompagnement qui forme l’introduction du finale produirait de l’effet, s’il était chanté par un nombre suffisant de voix. Miller vient d’apprendre que Rodolfo, le fils du comte Walter, doit épouser une riche héritière; cette nouvelle jette la consternation dans le cœur de Luisa. Sur ces entrefaites surviennent Walter et Rodolfo, celui-ci pour donner à Luisa un nouveau témoignage de son amour, celui-là pour effrayer le pauvre paysan et rompre un mariage disproportionné qui contrarie les plans de son ambition.

Tel est l’argument du finale du premier acte, qui, après une longue scène de récitatifs et de débats assez vigoureusement rendus, vient aboutir à un quintetto d’un style soutenu. La phrase du cantabile Deh! Mi salva, deh ! m’aita, confiée à la voix de soprano, accompagnée par le ténor et la basse en notes pointées et descendantes, est fort belle, et la péroraison, fortifiée par le chœur tout entier et préparée avec infiniment d’adresse, éclate avec une grande puissance de sonorité. Ce finale est presque un morceau de maître et fait le plus grand honneur à M. Verdi.