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les châteaux forts, les ouvrages de défense des villes, les maisons et les propriétés particulières. Il y avait de même des écharpes dans la toilette civile et le costume militaire. Les tournois une fois écartés, M. Grandmaison examine la valeur d’un autre système plus récent, mais également absolu, qui fixe aux croisades l’apparition des armoiries. Ici encore il discute sévèrement toutes les affirmations, et il établit, selon nous d’une manière péremptoire, qu’il est impossible de déterminer, comme on l’a voulu faire jusqu’ici, l’heure précise à laquelle l’usage des armoiries se répandit dans le monde féodal. En effet, dès le Xe siècle, on trouve quelques emblèmes personnels, mais, à cette époque et dans le siècle suivant, ce qu’on appelle le blason ne s’est point encore constitué comme signe caractéristique d’une classe particulière, et surtout comme symbole transmissible d’une même famille. C’est seulement au XIIIe siècle que le principe de l’hérédité des armoiries est définitivement établi, et que le blason devient une science et prend une véritable importance; mais, par un singulier contraste, l’art héraldique était à peine constitué, que déjà la chevalerie était en pleine décadence. Dès le siècle suivant elle avait perdu son caractère, et quand Charles VI, en 1389, voulut créer chevaliers ses deux cousins, le roi de Sicile et le comte du Maine, le peuple vit avec étonnement le cérémonial de cette investiture, parce qu’il avait perdu complètement, suivant le moine de Saint-Denis, la tradition des rites chevaleresques. Il en fut de même du blason. Aux emblèmes héroïques succédèrent les logogriphes des armes parlantes, et ce qui, au début, avait été une grande institution sociale devint, avec le temps, une simple affaire de vanité. Au XIIIe siècle, les chevaliers gagnaient leurs éperons sur le champ de bataille, au prix de leur sang. Au XVIIe, le roi vendait les parchemins soixante livres, et certes, parmi toutes les études qui appellent l’attention des érudits, il en est peu qui présentent autant d’intérêt que celle de la décadence politique de la noblesse française; nous indiquerons cet important sujet à l’auteur du Dictionnaire héraldique comme un curieux complément de son premier ouvrage, et, puisqu’il a fait heureusement sa veille des armes, il faut qu’il entre maintenant en l’ordre de chevalerie.

A côté du blason des familles, on peut placer le blason des maisons, c’est-à-dire les emblèmes, devises ou monumens figurés qui ont servi jusqu’au XVIIIe siècle à désigner les habitations particulières. Sous le titre de Recherches historiques sur les enseignes[1]. M. de La Quérière a réuni, dans un grand nombre de villes de France, les curiosités de ce genre que le temps a laissé arriver jusqu’à nous. Il est à regretter qu’au lieu de donner un peu au hasard et ville par ville les enseignes qu’il a l’assemblées à la suite des plus patientes recherches, M. de La Quérière ne les ait point classées dans un ordre logique, et d’après leur caractère même, en enseignes mystiques, chevaleresques, industrielles, facétieuses, etc.; par cette disposition, on eût saisi bien plus vivement les tendances de l’esprit du moyen-âge. Ainsi les saints dont le souvenir se rattache aux âges héroïques de la monarchie française, saint Denis, saint Martin, saint Éloi, sainte Geneviève, étaient surtout populaires. Il en était de même de ceux que les corps de métiers avaient choisis pour

  1. Un vol. in 8°, Rouen, 1851.