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Comme l’archéologie monumentale, la philologie, qui n’est que l’archéologie du langage, a donné, depuis quelques années, plusieurs ouvrages importans auxquels M. Edelestand Du Méril vient d’ajouter l’Essai philosophique sur la formation de la langue française, livre dans lequel l’auteur a le mérite, malheureusement trop rare chez les érudits, de remuer un grand nombre d’idées. M. Du Méril, après avoir exposé, que ce n’est pas une langue déterminée qui est naturelle à l’homme, mais le langage en lui-même, c’est-à-dire la faculté d’exprimer des pensées par des mots, s’attache à montrer que les langues sont toujours en rapport direct avec la civilisation des peuples qui les parlent, qu’elles vont toujours du simple au composé, qu’à l’origine il n’y a que des patois sans règles fixes, que l’idiome national se forme en soumettant successivement ces patois à une épuration sévère, en les anoblissant en quelque sorte, et que la langue officielle, littéraire, académique, se constitue en même temps que la législation, les gouvernemens et la société régulière. Les lois de la décadence sont les mêmes que les lois de la formation, et la langue d’un peuple retombe à l’état de patois, quand ce peuple lui-même s’affaisse et dégénère. A côté des influences purement locales et des causes historiques, il faut reconnaître en même temps les influences étrangères, c’est-à-dire celles qui résultent du rapport des nations entre elles et des échanges de mots qui s’établissent par suite du contact. De plus, les idiomes s’inspirent de la nature des populations qui les créent, et ils expriment nécessairement la façon de penser, les habitudes d’esprit, le caractère de ces populations. Ici, on le voit, la méthode d’investigation est nettement exposée, et M. Du Méril marche toujours d’après les principes qu’il a fixés lui-même. Il s’attache d’abord à définir nettement, d’après le caractère même du peuple, le génie de la langue française; ce qui la distingue suivant lui, c’est la transparence, la facilité d’usage, l’agencement logique de la parole, la netteté de la prononciation. Le travail instinctif de son perfectionnement a toujours tendu vers la clarté, et ce travail a été successivement élaboré sur tous les élémens qui ont concouru à sa formation première. Les divers points que nous indiquons à peine ici ont été curieusement développés par M. Du Méril; cette partie de son livre, entre autres mérites notables, offre celui de la nouveauté, et les principes généraux qu’il y développe se trouvent pour la plupart confirmés par les détails philologiques qui occupent le reste de l’ouvrage.

En remontant aux sources mêmes de notre idiome national, l’auteur tient compte de tous les élémens, et s’attache successivement à faire la part du celtique, du grec, du latin, des langues germaniques et des langues orientales. L’idée philosophique dans l’Essai domine le détail grammatical, l’étude du langage est toujours liée d’une manière intime à celle des mœurs, des idées, des habitudes, et pour cela même nous recommandons aux historiens qui s’occupent du passé de la France le travail de M. Du Méril comme une source abondante et féconde en renseignemens. Nous le recommandons également aux personnes qui croient encore qu’il est indispensable d’apprendre le grec pour savoir le français. En comptant, comme M. Du Méril, ce que la langue d’Homère et de Platon, à part les mots techniques qui sont de formation récente, a donné à la langue de Descartes et de Corneille, elles reconnaîtront, nous n’en doutons pas, que l’on peut savoir du grec autant qu’homme de France,