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présente l’immense avantage de laisser à la commission qui dispose des ressources financières la faculté de choisir les émigrans. Il ne faut pas se figurer que l’Angleterre entende fournir au rebut de sa population les moyens de s’expatrier aux frais de l’état : elle commettrait une grande faute, un acte immoral. Ainsi pratiquée, l’émigration ne serait plus qu’une transformation, plus ou moins heureuse, du régime pénitentiaire ; elle éloignerait les honnêtes gens, les seuls avec lesquels on puisse fonder des établissemens durables, car ce sont les seuls qui travaillent, qui économisent, qui défrichent le sol, accumulent des capitaux, et constituent avec le temps une société prospère. Le gouvernement ne déserterait-il pas sa mission, s’il employait au profit de l’oisiveté besoigneuse les sommes dont il n’est que le dépositaire, et qu’il doit naturellement répartir, au nom de la communauté tout entière, entre les plus dignes ? Et d’ailleurs les colonies souffriraient-elles qu’en retour du prix de leurs terres, on leur envoyât des mendians et des vagabonds ? Ce n’est pas tout : il ne suffit pas que l’émigrant soit honnête, il importe à un égal degré qu’il soit utile comme instrument de colonisation. Voici, par exemple, les conditions exigées des personnes qui obtiennent le passage gratuit pour l’Australie : « Les émigrans doivent être sobres et laborieux, fournir un certificat de bonne vie et mœurs, être exempts de toute infirmité morale ou physique… On accepte de préférence les jeunes ménages sans enfans… En aucun cas, on ne permet que les époux se séparent, ni que les parens abandonnent leurs enfans au-dessous de dix-huit ans… On n’admet pas les personnes qui se proposent de se livrer au commerce. » Le but de l’émigration est nettement fixé ; la commission veut surtout favoriser les agriculteurs, c’est-à-dire la classe d’émigrans qui peut rendre aux colonies les meilleurs services. Cette pensée se manifeste dans une autre partie du règlement. La faible somme que le passager doit rembourser à la commission pour l’achat de son hamac et des ustensiles de table varié suivant les âges et les professions[1]. Enfin les émigrans s’engagent à demeurer quatre ans dans la colonie, sous peine de restituer au gouvernement une portion des frais de leur passage, soit 3 livres sterling pour chacune des années qui restent à courir avant le terme fixé. Plus on descend dans les détails, plus on reconnaît avec quelle précision et quelle prévoyance toutes les mesures ont été prises pour garantir le succès de l’opération et justifier l’emploi des deniers publics. Pourquoi n’ajouterai-je pas que les commissaires poussent la sollicitude au point d’ordonner la vérification du bagage des émigrans avant le départ ? On s’assure que chacun emporte les vêtemens nécessaires pour la traversée. Cette précaution n’est pas puérile : la mortalité des passagers à bord des navires expédiés aux frais de l’état est restreinte aux proportions les plus minimes, et les intérêts de l’humanité se trouvent ainsi d’accord avec ceux de l’entreprise.

Par son intervention directe, par les soins extrêmes qu’il donne au choix et au transport des colons, l’état s’est assigne avec quelque hardiesse le prin-

  1. Un cultivateur et sa femme ne paient que 1 liv. sterl. s’ils ont moins de quarante ans, 5 liv. sterl. entre quarante et cinquante ans, 11 liv. sterl. au-dessus de cinquante ans. Les laboureurs célibataires de dix-huit à trente-six ans déposent 2 liv. sterl. Les artisans versent une somme plus forte : 5,8 ou 15 liv. sterl, selon leur âge.