Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

Pourquoi ces principes d’une incontestable évidence, proclamés par M. de Talleyrand en l’an V, recommandés plus vivement aujourd’hui par les besoins qui nous pressent, ne recevraient-ils pas leur application immédiate ? Nous n’avons plus à nous préoccuper de l’acquisition de nouveaux territoires. Parmi nos colonies, il en est une qui peut soutenir la comparaison avec les établissemens les plus considérables de la Grande-Bretagne : c’est l’Algérie. Il y a plus de vingt ans que nous y avons planté notre drapeau ; depuis dix ans, notre autorité s’étend sur le littoral, dans la plaine de la Mitidja, et sur de nombreux espaces constamment protégés par les campemens ou par les colonnes mobiles de notre armée. Cependant l’émigration européenne ne s’est pas encore décidée à se fixer en Algérie, et la population introduite depuis la conquête dépasse à peine 140,000 âmes. Sans doute, il est juste de tenir compte des obstacles que l’état de guerre a opposés au progrès de l’œuvre coloniale, et la révolte qui a éclaté récemment sur différens points de la province de Constantine justifie la prudence qui a retenu jusqu’à ce jour les capitaux et les colons. Ces difficultés toutefois ne sont-elles pas en partie compensées par les avantages qui résultent du voisinage de l’Europe, de l’économie du trajet, de la sécurité qui règne dans les principales villes et dans un certain rayon ? On est donc obligé d’avouer que la métropole a dû commettre de graves erreurs dans l’organisation du régime administratif, et en effet, si l’on passe en revue les points les plus essentiels, on doit convenir que le système adopté par la France s’est presque toujours trouvé contraire aux principes qui ont procuré aux possessions anglaises de l’Australie une prospérité si rapide et si brillante. Ainsi la loi sur la propriété en Algérie date d’un an à peine. Jusqu’en 1851, il y avait peu de garanties pour les mutations des propriétés foncières ; le détenteur était fréquemment exposé à se voir exproprié soit par le domaine, soit par le génie militaire, pour cause ou sous prétexte d’utilité publique, et les évaluations des indemnités étaient si arbitraires, les délais si longs, que l’expropriation entraînait parfois la ruine du colon. On a vu plus haut que, dans l’établissement de Natal, l’incertitude du régime de la propriété avait failli compromettre la colonisation naissante et arrêter les travaux de la culture. L’Algérie eût couru les mêmes dangers, si la loi du 17 juin 1851 n’avait enfin consacré la propriété territoriale.

Pour les concessions de terrains, les formalités déterminées par les ordonnances de 1845 et 1847 ont été simplifiées par le décret du 26 avril 1852 ; elles entraînent cependant encore des retards et des dépenses qui peuvent rebuter l’émigrant. Que l’on compare ces dispositions avec les facilités du système en vigueur aux États-Unis et dans les colonies anglaises. Là, point de délais ; le colon est mis immédiatement en possession d’un lot de terre cadastré à l’avance. Dès qu’il a payé le prix d’achat (et ce prix est en général très peu élevé pour le sol destiné à la culture), il est définitivement propriétaire, et il n’a point à redouter l’effet de clauses résolutoires qui sont suspendues, comme l’épée de Damoclès, sur la tête du concessionnaire algérien. Pourquoi l’administration française ne tenterait-elle pas de s’approprier ce mécanisme si simple ? Remarquons en outre que, si les lenteurs et les complications de notre système éloignent de l’Algérie un grand nombre de Français désireux d’y chercher fortune, elles effraient à plus forte raison les étrangers, qui préfèrent tra-