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L’ANTIQUITÉ ET LES PÈRES DE L’ÉGLISE.

ces belles œuvres de l’esprit humain injuriées à plaisir, et personne au monde ne s’inquiétait de cette injure gratuite. On souriait tout au plus à voir ces grandes colères contre les moulins à vent de l’antiquité, et l’on se disait tout bas : Ils ont beau dire, ils ont beau faire ; l’antiquité est encore ce que nous avons de meilleur. — Nihil antiquius habui, disait, il y a trois siècles, Henri Estienne quand il voulait dire : Je n’ai rien en plus grand respect. En ce temps-là, en pleine obéissance, en pleine croyance, on disait : Les mœurs antiques, la bonne foi antique, la simplicité antique ! C’était la meilleure formule d’une bonne louange ; on ne savait pas, de la cour à la ville, d’adjectif plus excellent, et chaque fois que se présentaient un ancien poète, un ancien historien, un philosophe ancien, à l’étude, à l’admiration, aux respects des grands esprits du grand siècle, aussitôt se faisait un profond silence, tout semblable au silence même quand passe le roi, suivi du cardinal, pour monter à son lit de justice. « Et, dit Henri Estlienne en son langage, il faut s’agenouiller humblement devant les maîtres, si l’on veut s’en faire agréer. Prenez garde, en ces rhétoriques maladroites qui se font autour de ces illustres, de ressembler à ce malappris qui, par un trop grand feu, appelle l’architecte afin qu’il ait à reculer la cheminée. »

En l’an de grâce 1552 non moins qu’en l’an de grâce 1852, l’antiquité n’était pas facile à défendre contre des gens qui combattaient à la façon des Parthes. Ils sont battus, ils fuient, ils cachent leurs morts ; le lendemain, ils reparaissent sur le champ de bataille d’où ils ont été délogés la veille, et ils crient victoire ! Il les faut serrer de près et leur opposer des armes bien trempées, si l’on en veut venir à bout. Quand Bossuet, dans l’Oraison funèbre de la reine d’Angleterre, se met à énumérer les causes qui ont précipité l’Angleterre dans l’abîme, il rappelle en première ligne « le plaisir de dogmatiser sans être repris par aucune autorité ecclésiastique ni séculière. » Et voilà, ajoute le prélat, le charme qui possédait les esprits ! C’est justement pour diminuer quelque peu de ce charme que tant d’évêques et tant de cardinaux français et italiens ont voulu interposer leur autorité dans ce débat ; c’est pourquoi M. le cardinal-archevêque de Bordeaux a invoqué récemment, dans cette discussion qu’il veut clore, ces pères souverains, ces juges sans appel, ces maîtres absolus du monde chrétien que l’abbé Fleury indiquait à l’avance aux amis de l’antiquité insultée : « On compte, dit-il, parmi les pères un grand nombre d’écrivains très savans dans l’antiquité profane, et, par la même raison, d’une absolue nécessité pour acquérir la véritable érudition, soit philosophique, soit littéraire. » Vous l’entendez : l’étude de l’antiquité, même pour un évêque, est d’une nécessité absolue. Elle est le digne commencement des plus fortes et des plus savantes études ; elle est l’ornement, la parure et la grâce, elle a été la force et l’éloquence des maîtres de l’église, et quand, au VIIIe siècle, ce flambeau semble près de s’éteindre, alors que de regrets,