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que de douleurs ! « À quoi bon, disait un des historiens de Charlemagne, ouvrir ces écoles où l’on n’apprend qu’à lire, à chanter, à compter ? À quoi peuvent servir ces maîtres qui ne savent que la grammaire ? Ô livres inutiles ! il n’y a plus dans toute la France un seul exemplaire de Térence, de Cicéron, de Quintilien ! Les hymnes de l’église ont remplacé les idylles de Théocrite, et l’étudiant qui s’approche le plus des modèles acceptés, Cassiodore ou saint Jérôme, passe aussitôt pour un Cicéron ! Ah ! si l’empereur et son ministre Alcuin avaient été animés d’une plus saine littérature, ils se seraient procuré à tout prix de bonnes copies des bons siècles ; ils eussent répandu dans les écoles les grands poètes et les grands orateurs ; alors seulement on eût connu la véritable éloquence et la véritable poésie ! » Ainsi parlait l’histoire à l’heure où i l’empereur Charlemagne, entrant hardiment dans le moyen-âge, rompait brusquement avec les habitudes plus clémentes que les Mérovingiens avaient laissé prendre à la France. Ainsi se lamentait en beau langage un évêque, saint Loup, lorsque, dans une lettre à son maître Éginhard, il invoque Horace et Catulle, appelant à son aide Quintilien et Suétone. On les retrouve en tout lieu, à tout propos, chez les barbares, ces souvenirs et ces regrets de l’antiquité, notre mère nourrice ! — Essayons cependant de ne pas quitter le sentier qui nous est tracé, tenons-nous aux pères de l’église, aux vrais interprètes de la parole évangélique, à ceux qui pratiquaient avant d’enseigner, et qui peuvent dire comme saint Paul : Pro Christo legatione fungimur !

« Instruisez-vous, dit saint Clément, un des premiers papes de l’église naissante, par l’exemple de la vigne : elle se pare au printemps d’un beau feuillage ; la sève active se glisse bientôt à travers ses branches réjouies ; plus tard, la grappe en sort pleine de verdeur, jusqu’au moment de la pleine maturité. » La feuille naissante, à coup sûr, c’est la poésie, et, comme Bossuet prévoit l’interprétation, il ajoute à l’image et la complète : « Dans le printemps, dit Bossuet, lorsque la vigne commence à pousser, on lui doit ôter même jusqu’à la fleur quand elle est excessive. » Saint Irénée, dans la préface de son livre des Hérésies, s’excuse en ces termes de ne plus parler le beau langage des anciens : « J’ai passé ma vie au milieu des Celtes, j’y ai pris l’habitude de cette langue barbare, et maintenant je chercherais en vain la grâce et l’ornement du discours. La sincérité de mes paroles en remplacera l’élégance. » Ainsi s’exprime cet illustre évêque de Lyon, l’ornement de l’église gallicane, qu’il a fondée par son sang et par sa doctrine. Il avait lu tous les poètes de l’antiquité, il les savait par cœur, il écrivait en latin, il écrivait en grec, il se faisait entendre également aux églises d’Allemagne et d’Espagne, de la Gaule et de l’Orient, de la Lybie et de l’Égypte. Il fut le plus digne pasteur de cette église de Lyon fondée sur les débris de ces autels poétiques dont parle Juvénal :