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nières métamorphoses ; ils ont subi à leur insu le goût personnel de tant d’empereurs si puissans que la langue même obéissait à leur caprice. Ainsi ils sont restés les dépositaires, involontaires si vous voulez, mais les dépositaires actifs et passionnés de la philosophie et de la théologie païennes, conservant au Capitole chrétien la devise romaine : Urbi et orbi ! Véritables Athéniens et Romains véritables, ils procèdent également par le mépris et par l’enthousiasme ; ils commandent, ils règnent, ils imposent, impérieux, volontaires, dédaigneux, ingénieux. Et que d’esprit, et que de politesse, et quels traits plus vifs, et quelles grâces plus naturelles, et comme ils ont justifié par cette fréquentation intime des modèles, par ce sens interne du beau, cette parole du prophète : Diffusa est gratia in labiis meis ! « Il nous faut des recherches sans fin et creuser bien avant dans l’antiquité quand nous voulons combattre les détracteurs du christianisme par les témoignages empruntés aux écrits de leurs poètes et de leurs philosophes ! » C’est Tertullien lui-même qui parle ainsi ; à ces paroles d’un si grand esprit, que peut-on répondre ? Il faut s’incliner, il faut obéir, il faut respecter ce que ces grands démolisseurs ont eux-mêmes respecté.

Cette comparaison sans cesse renaissante des deux religions aux deux premiers siècles de l’église fournit à Lactance (on l’appelait le Cicéron chrétien) un beau livre intitulé : De la fausse Sagesse, et ce savant homme, élevé dans toutes les préventions de l’école, se garde bien, quand il s’attaque aux chefs de l’antiquité, de procéder par l’injure et par l’insulte. Avec quel soin même et quel zèle aimable il répond aux dialogues philosophiques de Cicéron, et quel profond respect il témoigne aux philosophes du Portique ! « Il s’est rencontré, dit-il, dans l’antiquité même, des hommes d’un esprit supérieur qui, s’appliquant tout entiers à l’étude de la philosophie, ont renoncé pour elle à toute affaire et publique et privée ; ils s’étaient dit, en hommes sages, qu’il était incomparablement plus honorable de pénétrer dans les connaissances divines et humaines que d’amasser des richesses et de courir après les honneurs. Ils méprisaient et s frivoles avantages qui se bornent à la vie présente, et qui ne peuvent rendre l’homme ni plus juste ni plus heureux. Ce fut cette noble passion de la vérité qui poussa quelques-uns d’entre eux à faire l’abandon de leur fortune, à se priver de tous les plaisirs, pour s’attacher uniquement à la seule vertu, qu’ils estimaient le souverain bien. » Et c’est un docteur de l’église, c’est un chrétien austère, un Lactance, qui parle en ces termes magnifiques des philosophes païens ! Qu’il soit le bienvenu dans ces heures difficiles où h-s plus simples questions sont remises en si grand doute ! Soyez le bienvenu, et servez d’exemple, en effet, aux petits chrétiens et aux petits latinistes de nos jours qui ne veulent lire Tite-Live et Virgile que sous bénéfice d’inventaire, ô grand homme d’une si ai-