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sucs généreux, quel olivier vivace et protégeant la jeunesse française de son ombre féconde !

Nous allons bientôt retrouver saint Grégoire de Nazianze dans une question décisive, une question de vie et de mort, où l’antiquité et l’église seront en présence. Interrogeons cependant, avant de conclure par ce grand plaidoyer de saint Grégoire et par cette parole empreinte du feu d’en haut, ignitum eloquium Dei, tant d’autres lumières de l’église militante. Interrogeons saint Jean Chrysostôme, et nous le verrons, cette bouche d’or, occupé dans sa jeunesse à traduire les comédies d’Aristophane ! « C’est même dans l’imitation du poète grec, — nous raconte le père Levavasseur dans son livre de ludicra Dictione, — que ce grand homme avait trouvé ce nerf et cette véhémence qui se font sentir dans la peinture des mœurs de son temps. Ce fut aussi dans les comédies d’Aristophane (étrange instituteur cependant pour un père de l’église !) que saint Jean Chrysostôme puisa cette grâce et cette pureté de langage qui éclatent dans son discours ! »

Comment donc ! si les premiers travaux de cet apôtre oriental n’avaient pas été perdus, il serait arrivé que l’auteur de ces puissantes homélies qui tenaient en suspens le monde chrétien eût été le restaurateur et le sauveur du plus spirituel et du plus licencieux poète de l’antiquité athénienne, Aristophane ; car du poète athénien, qui reposait sous son chevet, Chrysostôme avait traduit vingt-huit comédies, et l’Europe savante, à son regret éternel, ne possède que onze comédies de ce bel esprit railleur qui fut l’orgueil et la honte du peuple athénien. Ainsi Chrysostôme a traduit (que vont dire les ennemis de l’antiquité ?) ces merveilleuses licences intitulées : les Oiseaux, les Grenouilles, Lysistrata et les Fêtes de Cérès !

Un élève, non pas d’Athènes, mais de Rome, un Romain, saint Jérôme, un des plus grands docteurs de l’église, nous raconte, lui aussi, comment, jeune homme infidèle à son Dieu, il s’abandonna aux délices romaines. Eh bien ! Jérôme, ébloui, fasciné, perverti par le bruit de ces poèmes, de ces histoires, de ces philosophies et par l’enivrement de ces parfums, finit cependant par être touché de la grâce et du repentir. Peu à peu son ame entre dans le calme et son esprit dans la vérité. Il voyage, il visite les Gaules, il s’arrête au désert, et déjà il choisit Bethléem pour son tombeau, lorsque l’église l’appelle à son aide. Alors il revient tout-à-fait vaincu, repentant, transformé. Ne croyez pas cependant que, même au désert où il rentre après la lutte, il ait oublié Rome, ses amours et sa peine. Rome, au contraire, le poursuit jusque dans son sommeil. Il la voit exposée aux Barbares, cette grande cité qui fut, durant dix siècles, l’orgueil et le désespoir du genre humain. Il entend le bruit du îlot qui monte incessamment : les Vandales, les Huns, les Gaulois, les Visigoths, et, dans ces momens de désespoir, il vous