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L’ANTIQUITÉ ET LES PÈRES DE L’ÉGLISE.

invoque au nom de la ville éternelle, vous les héros de Rome et ses défenseurs légitimes, Camille, Fabricius, Regulus, Scipion. À l’aide des philosophes expirans il appelle Aristote et Socrate, Pythagore et Platon : « Que les poètes se retranchent derrière Homère, Hésiode, Virgile, Ménandre et Térence ! que les historiens invoquent Thucydide, Salluste, Hérodote et Tite-Live ! les orateurs auront pour les protéger Lysias et les Gracques, Démosthènes et Cicéron. » Dans ce danger, tous les grands noms de l’antiquité se retrouvent sous la plume de saint Jérôme, et toujours et sans cesse il se rappelle « le temps où il résidait à Babylone, attelé au char de la grande prostituée et jouissant du droit de citoyen romain. » Et cela nous charme et cela nous plaît, ce citoyen romain, ce Romain chrétien, qui se réveille sous la robe du solitaire avec les impatiences d’un soldat de Paul-Émile.

Au reste, ces chères surprises se rencontrent à chaque instant dans la vie des pères de l’église. Voilà par exemple saint Épiphane que l’on emporte en triomphe à Salamine sa patrie ; voici saint Barnabé, l’apôtre des Gaules, qui s’en va prêcher l’Évangile à Cythère, à Paphos, à Lystre, et le voyant si fier, si calme et si beau, les habitans de Lystre le prennent pour Jupiter et lui veulent offrir des sacrifices. Cette Afrique, elle ne savait ni le nombre de ses poètes, ni le nombre de ses docteurs, ni celui de ses hérétiques ! Elle se glorifiait tout autant de ses théâtres que de ses églises, de ses temples que de ses écoles ; elle était païenne et chrétienne tout ensemble, acceptant tous les poètes, adorant tous les dieux et parlant toutes les langues. Cicéron vivant s’était déjà préoccupé de ce langage furibond qu’il appelait en si bons termes : Ventosa et enormis loquacitas ! Heureusement que cette terre insolente allait rencontrer son maître et son dompteur, saint Augustin !

Saint Augustin, plus que tout autre, est l’enfant de l’ancienne poésie : elle l’a nourri de son lait, elle l’a conduit aux écoles de Carthage, elle l’a enivré de ses enchantemens, et quand enfin il eut épuisé Virgile, Homère, Théocrite, Ovide, Anacréon, et toutes les histoires qui enseignent à prêcher, historias peccare docentes, le jour vint bien vite où ce noble cœur se sentit lassé de tout, même de V espérance. Et qui l’eût dit ? son premier pas dans la sagesse, ce fut de lire un livre de Cicéron intitulé : Hortensius, un livre qui n’est pas venu jusqu’à nous. Ce livre de Cicéron était une exhortation à la philosophie, au calme, au bon sens, au mépris des passions mauvaises ; c’était vraiment un sage qui s’adressait à ce jeune esprit dans le plus magnifique des langages, et c’est ainsi que commença la conversion du jeune homme. On eût dit que Cicéron lui-même le prenait par la main et le présentait à saint Paul. « Jeune homme, prends et lis ! » quand il entendit retentir à son oreille charmée cette grande parole, Augustin y avait été pré-