Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
REVUE DES DEUX MONDES.

et protestans, et ils le sont à peu près tous en Amérique, lorsqu’on leur enseigne que le Christ est mort pour tous les hommes, qu’il est venu abolir l’ancienne loi. Quant aux objections qui ont été dirigées contre l’esclavage, et qui cherchaient à s’appuyer sur l’égalité de la nature morale entre les blancs et les noirs, nous devons dire qu’elles nous inspirent de grands doutes. Les anecdotes que l’on raconte ne sont pas suffisantes pour nous convaincre, et, en dépit des peintures de mistress Stowe, qui nous présente les nègres comme des gens d’une nature morale très élevée, ma foi ! nous hésitons à nous prononcer. Les nègres seront-ils jamais capables d’un développement moral et intellectuel assez grand pour que la liberté absolue puisse leur être conférée ? Oui, s’il fallait en croire les théories d’un certain docteur Warren, de l’école de médecine de Boston, qui a fait sur les crânes des nègres la même série d’observations que M. l’abbé Frère a faites chez nous sur les crânes des Francs des deux premières races. Les crânes des nègres déterrés dans le cimetière de New-York sont plus épais, paraîtrait-il, que les crânes des nègres morts à des dates récentes. On rencontre çà et là en très petit nombre, il est vrai, des nègres ayant l’amour de l’instruction et de la science ; en général pourtant, l’intelligence des nègres semble tournée vers les choses les plus puériles de la civilisation, l’amour des oripeaux, des colifichets, des bijoux, de tous les joujoux éclatans et somptueux. Ils sont très portés au dandysme, et rien n’est curieux, dit-on, comme de rencontrer dans les états du nord certains noirs libres vêtus à la dernière mode, couverts de bijoux et les doigts garnis de bagues. Ils mettent leur cravate comme Brummell, et jamais créature humaine n’a éprouvé plus de plaisir à employer le cirage et la brosse, mis plus d’obstination et de persévérance à bien faire reluire une botte. Les récits de tous les voyageurs et de tous les observateurs sont d’accord sur ce dandysme singulier des nègres ; mais il est un point autrement important, et sur lequel mistress Stowe a particulièrement insisté : c’est la facilité avec laquelle les noirs acceptent la religion et la docilité de leur esprit à cet égard. Il n’est point rare de rencontrer dans les états du sud des nègres pieux et d’une tournure d’esprit très mystique. Grands chanteurs d’hymnes et de psaumes, ils aiment à se rendre aux assemblées religieuses, et vont souvent en grand nombre grossir le chiffre de ces congrégations en plein vent qui campent au milieu des campagnes et sous l’ombre des forêts, et que l’on appelle camp-meetings et revivals. Combien de blancs qui n’ont pas cette aptitude religieuse, qu’on nous passe l’expression ! Quelle que soit d’ailleurs la nature morale des nègres, qu’ils soient incapables ou non de la liberté, ils n’en sont pas moins des hommes qui souffrent et qui saignent quand on les frappe, et rient quand on les chatouille, ainsi que le dit Shylock des Juifs dans