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appel, les Guivarch ne manquaient jamais d’accourir pour le poursuivre de leurs pierres et de leurs huées. Il continua donc sa route avec un battement de cœur, attendant à chaque minute l’attaque ordinaire ; mais, à sa grande surprise, tout demeura immobile dans la cabane de Konan. Il atteignit l’extrémité du sentier, toujours poursuivi par la seule voix du chien ; aussi, avant de tourner le coteau, s’enhardit-il assez pour relever la tête et regarder vers la lande brûlée.

La hutte des Guivarch y était posée comme une grande ruche appuyée au ressaut de la colline. Le mur, en clayonnage revêtu de terre et de paille hachée, était recouvert d’un toit de bruyère. Une claie de genêt tournant sur deux harts d’osier en guise de gonds servait de porte, et l’étroite fenêtre sans vitres était irrégulièrement taillée dans le pisé. L’ensemble avait je ne sais quoi de gauche et de sauvage qui n’accusait pas seulement l’inhabileté du constructeur, mais son indifférence. Il était évident qu’il avait élevé à la hâte un abri, sans s’occuper de le faire commode ou durable. Déjà la toiture, à demi affaissée, menaçait ruine, et les murailles, fendues çà et là, laissaient pénétrer à l’intérieur la pluie et le vent.

Dès le premier coup d’œil, Baliboulik reconnut que la cabane était vide. Les Guivarch avaient solidement attaché le chien près du seuil, comme ils en avaient l’habitude lorsqu’ils s’absentaient pour quelque expédition, afin qu’il ne pût les trahir en suivant leurs pistes. Évidemment ils étaient occupés à la maraude dans la plaine cultivée. Cette assurance rendit au petit bossu toute sa gaieté. Il poussa un soupir de soulagement, changea d’épaule sa cage et ses gluaux ; puis, reprenant sa route d’un pied alerte, il atteignit bientôt le bout du ravin, gravit le coteau, et se trouva sur le versant opposé au canal. Ici la pente était plus riche en végétation. Des prunelliers, des aubépines, des sureaux, des houx frelons parsemaient le terrain ondulé, et les oiseaux, appelés par leurs baies succulentes, tournoyaient en essaims au-dessus de la sauvage oasis. Baliboulik choisit une espèce d’enceinte formée par les arbustes les plus chargés de graines ; il plaça au milieu sa cage recouverte de verdure, dispersa les gluaux sur les branches, puis, gagnant un sillon creusé par les pluies d’hiver au pied des buissons, il s’y étendit et demeura enseveli dans la bruyère. Les oiseaux, attirés par les chants du pinson captif, ne tardèrent pas à paraître ; ils s’approchaient d’abord avec précaution, en rétrécissant de plus en plus le cercle autour de la cage. Les plus hardis s’abattaient sur les arbustes qui dessinaient l’enceinte, et voletaient de branche en branche jusqu’à ce qu’ils eussent rencontré les gluaux. C’était alors seulement que le petit bossu, averti par leurs pépiemens désespérés et leurs bruissemens d’ailes, sortait en rampant de sa retraite pour les saisir.

Les premières heures furent, comme d’habitude, les plus heureuses.