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SCÈNES ET MŒURS DES RIVES ET DES CÔTES.

passion. Ils atteignirent l’enceinte choisie par le maître d’école, et disparurent au milieu des buissons. Tous les yeux étaient tournés vers la hauteur ; la vieille aveugle elle-même semblait regarder. Il y eut une assez longue attente. Deux ou trois fois, les Guivarch revinrent et s’éclipsèrent de nouveau ; on les entendit s’appeler et se communiquer de loin certaines remarques ; enfin Guy-d’hu poussa un cri, et on le vit bientôt reparaître au détour de la colline, traînant le bossu, qui s’efforçait en vain de parler.


III.

Cependant le soir était venu sans que l’éclusier ni sa fille pussent s’expliquer l’absence prolongée de Perr Baliboulik. Tous deux avaient regardé à l’entrée des principaux sentiers et n’avaient pu y retrouver aucune trace du petit bossu. Justement alarmés d’un retard sans précédens, mais ne voulant point s’avouer la cause de leur trouble, ils s’épuisaient tout haut en conjectures qui ne servaient qu’à masquer leurs craintes secrètes. La même inquiétude avait reporté leur pensée sur les Guivarch. Eux seuls, dans le voisinage, pouvaient être un danger. Cependant un attentat sérieux de leur part contre le vieux maître d’école semblait sans intérêt et sans motif. La haine des gens de la lande brûlée ne pouvait l’atteindre qu’indirectement et par contre-coup ; c’était, sans aucun doute, le plus indifférent de leurs ennemis. Il était donc peu probable que leur vengeance se fût exercée de préférence sur l’être inoffensif qui ne leur avait rien enlevé, et dont la disparition ne pouvait rien leur rendre.

Malgré ces raisons que Nicole et son père se donnaient tout bas, aucun d’eux ne réussit à se rassurer, et, lorsque la nuit fut close, Hoarne renonça à feindre plus long-temps. Sans doute, il était arrivé quelque chose à son cousin ; il ne s’agissait plus désormais de faire des suppositions en l’attendant, mais de le rechercher et de le secourir, s’il y avait lieu. La jeune fille, non moins inquiète, déclara qu’il fallait partir sur-le-champ ; elle alluma une lanterne, tandis que son père s’armait d’un bâton de buis, et tous deux entrèrent dans la lande.

Ils hésitèrent d’abord sur la direction qu’il fallait prendre. Nicole avait quelquefois suivi le vieil oiseleur dans ses excursions, et connaissait la plupart des reposées où il avait coutume de tendre ses gluaux ; mais elle ignorait celle qu’il avait pu choisir ce jour-là. Après s’être consultés quelques instans, le père et la fille se décidèrent à suivre le sommet du plateau, dans l’espoir qu’ils pourraient ainsi voir et être vus de plus loin. Bien qu’il y eût peu d’étoiles au ciel, la nuit avait une demi-transparence sur laquelle les objets les plus éloignés se