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SCÈNES ET MŒURS DES RIVES ET DES CÔTES.

son père roula sans mouvement à ses pieds, et le meurtrier ne s’arrêta qu’au moment où Guy-d’hu lui saisit les coudes en criant : — Vite ! vite ! à la lande, ou nous sommes perdus !

— Qu’y a-t-il ? demanda Konan, qui chancelait comme un homme ivre.

— Là-bas, voyez… les bateliers !

Guivarch regarda vers le canal et aperçut en effet un bateau qui s’avançait rapidement, tiré par trois mariniers attelés à la cordelle. Ils avaient sans doute aperçu les lueurs de l’incendie, car ils semblaient accourir et n’étaient plus qu’à une demi-portée de fusil de l’écluse. On pouvait déjà distinguer les voix. Nicole crut en reconnaître une. Elle poussa un grand cri en appelant Alann.

— Me voici, Colah ! répondit un accent bien connu, et le patron du bateau, sautant sur la berge, accourut vers elle avec le petit bossu, qui venait de le rejoindre.

Ce qui suivit ne fut d’abord qu’un mélange confus de cris, de pleurs et d’explications entrecoupées. Enfin, après beaucoup de questions, le promis de Nicole put comprendre ce qui s’était passé. Il avait fait amarrer le bateau à quelques pas de l’écluse, et le mourant y fut porté. Il songea alors à rechercher ce qu’était devenu le meurtrier ; mais les Guivarch avaient profité du premier moment de confusion pour s’enfuir, et le maître d’école déclara qu’il les avait vus prendre le chemin de la lande brûlée.

— Alors ils sont retournés à leur trou de couleuvres ! s’écria Alann. Par le Dieu de justice ! il ne sera pas dit que nous les y aurons laissés se reposer tranquillement dans leur crime. Venez, mes gars ! il faut que les Guivarch rendent compte à la loi.

— Jésus ! voulez-vous me laisser seule ici ? s’écria Nicole à genoux près de son père et occupée à étancher le sang qui coulait de sa blessure ; au nom de notre Sauveur, Alann, ne me quittez pas, je vous en prie du milieu du cœur.

— Ceci est une demande raisonnable, patron, fit observer à demi-voix le plus vieux marinier ; il serait trop dur d’abandonner la chère créature quand son père entre dans la grande angoisse.

Alann parut embarrassé.

— Pour lors, objecta-t-il, nous laisserons donc en paix ceux qui ont pris la maison et la vie de Gravelot ?

— Non pas, Alann, reprit celui qui avait déjà parlé ; j’irai avec les deux autres gars, et, s’il plaît à Dieu, nous vous ramènerons les gens de là-bas pour payer le feu et le sang.

— Mais comment trouverez-vous votre route dans la lande ?

— C’est moi. qui les conduirai : s’écria le bossu en se redressant le visage rouge et les yeux ardens ; je n’ai plus peur d’eux, mon fils ; qu’ils