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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

s’endort ou s’éveille à contre-temps et prostitue la seule force qu’elle puisse donner, la popularité, aux plus indignes. Les honnêtes gens sont inutiles, parce qu’ils sont sans génie ; l’unique service qu’ils puissent rendre est de tenir leur constance au-dessus de leurs dégoûts et de réserver à l’avenir la fidélité de leurs convictions et la fermeté de leurs espérances. La grande figure du temps, lord Chatham, se démène excentriquement à travers ces platitudes comme le fantôme de l’impossible. D’intelligens contemporains purent craindre parfois, au spectacle de ces misères, de voir recommencer le problème mortel des révolutions. L’Angleterre en vint jusqu’à trembler de se réveiller un matin en face des Français débarqués sur ses côtes.

Habent sua fata ; il est pour la publication des livres de singulières opportunités : c’est à une heure d’épreuve et de doute pour les principes de liberté en Europe que s’impriment les documens et les mémoires qui éclairent le mieux un des momens les plus critiques dans l’histoire de la liberté anglaise. Vers la fin de l’année dernière paraissaient les deux volumes du grand ouvrage de lord Mahon, consacrés à la période historique dont nous parlons. À peu près en même temps, lord Albemarle recueillait dans des papiers d’état oubliés et des collections de famille les matériaux destinés à compléter le tableau de cette époque et à rétablir le portrait du marquis de Rockingham, une des figures qui y tiennent le rang le plus élevé et le plus digne. D’un autre côté, le duc de Buckingham vient d’ouvrir une partie des archives de sa maison : les Papiers des Grenville sont en cours de publication ; les Grenville, c’est-à-dire lord Temple et George Grenville, furent, comme on sait, les beaux-frères de lord Chatham et formèrent avec lui un triumvirat de famille dont l’union ou les discordes eurent sur l’Angleterre de ce temps-là une action longue et profonde. Donc on n’avait jamais été en mesure de voir ni d’étudier d’aussi près cette portion du XVIIIe siècle anglais. Les livres que nous avons cités nous y introduisent sur le pied de l’intimité. C’est l’histoire avant la lettre ; ce sont les confidences mêmes des personnages : on y saisit au vif les mobiles qui les conduisent, leurs intérêts, leur calculs, leurs incertitudes, leurs rivalités, leurs haines, leurs ambitions, leurs découragemens, toute cette poussière de sentimens, d’idées, de préoccupations humaines avec laquelle le hasard ou la Providence pétrit les événemens. Jamais non plus cette histoire ne pouvait être mieux comprise qu’aujourd’hui, par la raison, — aussi vraie en matière de politique qu’en matière de sentiment, — que l’on ne comprend bien que ce que l’on a soi-même éprouvé. Là est l’éternel attrait des études historiques. L’histoire est comme une galerie immobile que nous traversons sur le courant des événemens contemporains. Parmi les tableaux qu’elle nous déroule au passage, la plupart restent pour nous dans l’ombre ; nous n’avons l’intelligence et