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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

mant la pipe et buvant du punch ; le gouvernement de l’Angleterre sortait de ces étranges tête-à-tête. George Ier était, quand il mourut, furieusement brouillé avec son fils. Leurs querelles allèrent si loin, qu’un courtisan proposa un jour à George Ier de le débarrasser du prince royal en le conduisant en Amérique. Le roi se contenta de chasser son fils du palais Saint-James, de lui retirer toutes les marques officielles de sa dignité et de déclarer publiquement que quiconque rendrait visite au prince ne serait plus reçu à la cour.

George II valut un peu mieux que son père. D’abord il fut meilleur mari, au point de vue politique du moins, car la reine Caroline, tant qu’elle vécut, exerça une grande influence. Cette reine était, il est vrai, la plus commode des épouses ; elle n’eut pas l’air de s’apercevoir de la liaison de George II avec une Mme Howard qui perdit son crédit pour avoir patroné des poètes et des écrivains de l’opposition ; d’ailleurs le roi la prenait pour confidente et conseillère de ses laides amours. Quand George s’éprit, dans un voyage au Hanovre, de Mme de Walmoden, la reine l’engagea à faire venir sa maîtresse en Angleterre. La maîtresse eut assez de goût ou de finesse pour refuser l’invitation de la reine. Caroline donnait cette explication brutale de ses complaisances : « Je ne suis qu’une seule femme et encore une vieille femme ; le roi peut aimer plusieurs femmes et de plus jolies que moi. » Le peuple de Londres prenait moins philosophiquement son parti que la reine délaissée. Un jour que George, attiré par sa passion pour Mme de Walmoden, était parti pour l’électorat, on apposa le placard suivant sur la porte de Saint-James : « Il a été perdu ou enlevé de cette maison un homme qui laisse une femme et six enfans sur la paroisse. Quiconque apportera de ses nouvelles aux marguilliers de Saint-James recevra quatre shillings et six pence de récompense. N. B. Il ne sera rien ajouté en sus, personne ne jugeant l’homme perdu digne d’une couronne[1]. » À la mort de sa femme, le roi fit venir Mme de Walmoden en Angleterre et lui donna le titre de comtesse d’Yarmouth. La favorite hérita de l’influence politique de la reine Caroline ; elle fut mêlée à toutes les affaires. Par exemple, quand George, après une résistance de plusieurs années, consentit enfin, en 1756, à l’entrée de Pitt dans ses conseils, il fallut que le grand homme demandât une audience à lady Yarmouth, passât plusieurs heures à lui exposer le plan de sa politique et sollicitât son intervention auprès du roi. Et devinez-vous ce qui parut surprenant à de graves contemporains dans cette démarche ? C’est que ce fut la première fois que Pitt l’eût tentée[2]. Les discordes de George II avec son fils, le prince de Galles Frédéric, furent plus vives et plus

  1. Jeu de mots sur la pièce de monnaie nommée couronne, qui vaut 5 shillings.
  2. Life of lord Chancellor Hardwicke, t. III, p. 79.