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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

moment. Aussi Pitt n’était pas l’homme de toutes les situations. Il était dérouté dans les temps calmes ; alors sa véhémence l’isolait dans la chambre des communes, son caractère impérieux et difficile éloignait de lui ses collègues dans le ministère, et le roi, qu’offensaient ses allures litières, ne pouvait plus le souffrir dans ses conseils ; mais, quand revenait l’orage, lui seul était à l’unisson des circonstances. Il redevenait alors le grand plébéien, the great commoner, terreur de ses rivaux et de ses ennemis, espoir et ressource suprême de l’Angleterre, et il s’imposait à la chambre des communes, aux partis et au roi.

Homme nouveau, Pitt n’appartenait par sa naissance à aucune des connexions du parti whig, et, avec son caractère, il lui était impossible de se fixer dans une des cases de cet échiquier politique. Il était entré pourtant dans la vie publique sous les auspices d’un des grands seigneurs adversaires de Walpole, lord Cobham, et il forma depuis avec les neveux de ce seigneur, les Grenville, une association qui devint une alliance de famille, car il épousa leur sœur. Deux membres surtout de cette famille nombreuse remplirent une place importante dans les crises de cette époque : ce furent lord Temple et George Grenville.

Le chef de la famille, lord Temple, est le seul homme qui ait exercé sur Pitt une longue influence. Cette influence fut malheureuse. Lord Temple exagérait les défauts qui rendaient Pitt insociable ; il poussait la rigueur des principes whigs contre la prérogative royale jusqu’à la faction, et le levain de ses opinions était aigri encore par sa morgue patricienne, par l’âcreté de son caractère et l’inquiétude de son humeur. Malgré des aptitudes sérieuses pour les affaires et un talent de parole qui passait la médiocrité, il ne pouvait être dans les combinaisons politiques qu’un actif dissolvant. Il voulait qu’en Angleterre les ministres, suivant le mot de George II, fussent rois, et il voulait qu’il n’y eût de ministres que son beau-frère, son frère et lui. Offensant envers les rois qu’il servit, blessant avec ses égaux et ceux qui auraient dû être ses alliés, il ne paraît avoir eu de condescendance que pour les libellistes et les agitateurs qui servaient ses rancunes passionnées. Il donnait, en politique, une main à lord Chatham et l’autre à Wilkes, dont il fut l’ami et le protecteur affiché. Lord Temple ne réussit pas même à maintenir le triumvirat au moyen duquel il prétendait absorber dans sa maison le gouvernement de l’Angleterre ; il se brouilla avec son frère George Grenville, et finit, mais trop tard, par rompre avec son beau-frère lord Chatham. Il mourut obscurément et isolé de toutes relations politiques dans son splendide château de Stowe.

George Grenville avait plus de mérite que son frère ; ses défauts étaient moindres, mais c’était aussi, et pour d’autres motifs, un caractère insupportable. Grenville était un homme consciencieux, scrupuleux, laborieux et appliqué : il était le type d’une classe d’hommes que