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l’on ne rencontre guère que dans les assemblées anglaises ; la pratique assidue des affaires lui avait donné une aptitude universelle aux diverses branches du gouvernement ; il pouvait être et il fut tour à tour ministre du commerce, ministre de la marine, ministre des affaires étrangères, ministre des finances ; mais le rôle qu’il ambitionna quelque temps, et où il eût excellé, eût été la présidence de la chambre des communes. La chambre des communes était son atmosphère, son élément, sa chose, sa vie. Personne n’était plus infatué des droits du parlement, personne n’en connaissait mieux les précédens, les rubriques et le cérémonial, personne n’était plus versé dans la triture de toutes les affaires qui venaient s’y débattre et s’y décider. Telles étaient les qualités de George Grenville ; on voit qu’elles sont de celles qui s’associent volontiers à la médiocrité. Grenville n’avait en effet aucune élévation dans l’esprit, aucune de ces intuitions ailées qui jaillissent du cerveau des grands hommes d’état. C’était un commis expérimenté et travailleur, un statisticien verbeux, un pédant formaliste, rien de plus. Exact dans sa vie, sa vertu n’aboutissait qu’à la raideur et à la parcimonie ; il se prenait pour un Caton, parce que, lorsqu’il était ministre, il vivait uniquement des revenus bornés de son patrimoine et mettait de côté les salaires de ses places pour grossir l’héritage de ses enfans. Comme il avait l’intelligence étroite et commune, il était envieux ; quand il se figura être l’égal de Pitt, il le détesta ; il se croyait ferme et n’était qu’entêté. Ainsi que son frère, il était fou de vanité, vindicatif, et se servait volontiers des pamphlétaires ; au demeurant, le plus ennuyeux personnage de son temps, comme son frère en était le plus insolent. Pendant son ministère, il assommait le roi de ses interminables explications, leçons ou semonces. « Quand il m’a ennuyé pendant deux heures, disait George III, il tire sa montre pour voir s’il ne pourra pas m’ennuyer une heure de plus. »

La tradition gouvernementale des whigs était représentée au pouvoir, en 1760, par le duc de Newcastle. Ce vieux duc était ministre depuis plus de quarante ans ; il avait été le collègue de Walpole et l’associé de son frère Pelham. Il n’y a pas eu d’homme d’état plus raillé de ses contemporains et plus berné par l’histoire. Depuis le début jusqu’à la fin de sa carrière, le duc de Newcastle fut une caricature vivante. Il avait eu dès sa jeunesse les travers et les grotesques d’une vieille femme intrigante et cancanière. Sa vie fut une trépidation continuelle dans une poussière de riens. Il s’occupait de tout, visait à tout, s’inquiétait de tout. Dans l’action, en parlant ou la plume à la main, c’était un tourbillon de mouvemens affairés, une averse de paroles bredouillées, un débordement d’écritoire. Il était ombrageux et timide, aspirant toujours et toujours hésitant. Il passait sa vie à accuser les autres et à s’excuser ; il accablait de cajoleries les rivaux