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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

mer et éteindre l’effervescence populaire, lord Bute, cédant à ses propres craintes ou aux craintes de sa famille, donna brusquement sa démission.

Lord Bute, en quittant le ministère, ne songeait qu’à dérober sa personne au péril. Ni lui ni le roi, dont il conservait toute la confiance, ne voulaient changer le système inauguré avec le nouveau règne. Avant donc de rendre sa retraite publique, il avait préparé la composition du ministère qui devait lui succéder, de façon à empêcher l’union et la prépondérance des grands whigs dans le gouvernement et à conserver pour lui-même une influence occulte sur la conduite des affaires. Il fit Grenville premier lord de la trésorerie ; il appelle Grenville avec effusion, dans les lettres qu’il lui écrit à ce sujet, « son cher George. » Son but, dans la formation du cabinet, est, d’après ses propres termes, de « rallier le concours de tous les amis du roi (c’est la première fois que paraît ce nom qui devait être plus tard l’étiquette de tout un parti) et d’assurer l’indépendance du souverain. » De peur que Grenville ne prît l’ascendant d’un premier ministre, lord Bute lui adjoignit les secrétaires d’état lord Egremont et lord Halifax. Les ambassadeurs des puissances étrangères furent avertis que la haute direction serait partagée entre ces trois ministres. Lord Sandwich, nommé premier lord de l’amirauté, était un gage donné à la connexion des Bedford, la mieux disposée pour la cour des coteries whigs. Le jeune lord Shelburne, placé à la tête du bureau du commerce, était une amorce pour retenir les amis de Fox, dans le cas où celui-ci, mécontent de n’avoir pas été admis à la délibération des nouveaux arrangemens, voudrait, par dépit, passer à l’opposition. Les choses ainsi disposées, personne n’étant assez fort dans le ministère pour s’emparer d’une initiative impérieuse, lord Bute, caché derrière le rideau, espérait, avec l’aide des amis du roi, exercer cette domination réelle qu’il couvrait du vague prétexte de l’indépendance royale.

Tandis qu’il ménageait ainsi le triomphe de la politique personnelle du roi, lord Bute ne se doutait ni ne s’inquiétait des maux que son ouvrage causerait à son pays. En donnant à George III le ministère Grenville, l’ancien premier ministre faisait du même coup à l’Angleterre un cadeau fatal. L’administration de George Grenville est le plus mauvais et le plus funeste cabinet qu’il y ait eu en Angleterre depuis la révolution de 1688. C’est ce ministère qui enfanta l’agitation de Wilkes, laquelle occupa, troubla et déshonora pendant plusieurs années, à l’intérieur, l’activité politique de l’Angleterre ; c’est ce ministère qui fournit aux États-Unis le motif de leur insurrection, et qui engagea l’Angleterre dans le détestable conflit au bout duquel elle fut dépouillée de ses vastes colonies américaines. L’agitation de Wilkes, la perte de l’Amérique, furent doublement le fruit de la politique person-