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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

sentant d’Aylesbury, chef-lieu du comté de Buckingham, dont lord Temple était le lord-lieutenant. Lord Temple l’avait nommé colonel de la milice du comté. La correspondance de ces deux personnages remplit la principale part des Grenville Papers. Wilkes y figure comme un disciple plein de prévenances et de déférence, Temple comme pédagogue et bailleur d’avis. L’acariâtre châtelain de Stowe se déride et prend le ton badin avec le capucin dérisoire de Medmenham-Abbey. Ce sont, de son côté, des félicitations pour les numéros salés du North Briton, des encouragemens à la polémique du journal, des témoignages d’intérêt à l’occasion des mésaventures qui pleuvent sur l’écrivain ; du côté de Wilkes, des demandes continuelles d’argent auxquelles le généreux lord répond par des lettres de change de 100,200,500 livres sterling.

Le North Briton déchirait à outrance la politique personnelle du roi, lord Bute, George Grenville, tous les complaisans du favori et surtout les Écossais. Une innovation qui paraît insignifiante aujourd’hui fit la fortune du journal. Jusqu’à cette époque, les journaux ne désignaient que par les initiales les personnages politiques qu’ils discutaient ; Wilkes les nomma en toutes lettres, et celle hardiesse décida la faveur publique. La virulence était tout le talent de Wilkes ; il en était de son style comme de cette éloquence soufflée des pamphlétaires qui paraît quelque chose d’énorme tant qu’elle est gonflée par la passion du moment, et que plus tard, après la passion refroidie, on est surpris de trouver si plate et si sèche. Chez Wilkes, d’ailleurs, l’intérêt excité par l’homme portait et grandissait l’écrivain. Ardent comme un joueur, audacieux comme un désespéré, souple et gai comme un sceptique épicurien, Wilkes possédait de plus cette sorte d’instinct dramatique indispensable aux hommes qui veulent jouer un rôle populaire. Il savait que l’intérêt s’attache au péril, et que, pour attirer et conserver sur soi l’attention et les haletantes sympathies de la foule, il faut toujours avoir l’air de côtoyer l’abîme et de frôler la catastrophe : donc il recherchait le scandale qui frappe l’attention, il appelait le danger qui émeut la sympathie, et il s’y comportait avec cette bonne grâce et cette bonne humeur qui charment la multitude en l’étonnant. Ses débuts dans la notoriété furent signalés par deux duels, le premier avec lord Talbot, ridiculisé par le North Briton. « Combien de coups de pistolet échangerons-nous ? demandaient à Wilkes les témoins de lord Talbot en allant sur le terrain. — Autant que vous voudrez, » répondit Wilkes. Lord Talbot se contenta d’une seule balle inutile et alla boire deux bouteilles de claret avec Wilkes au cabaret voisin. L’autre duel fut plus sérieux. Le North Briton avait traité de vil suppôt du pouvoir un M. Samuel Martin, membre de la chambre des communes et secrétaire de la trésorerie. M. Martin dit dans la chambre qu’il ne connaissait pas