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écrivant au fils de l’horloger Caron. Je reproduis sa lettre textuellement, avec les fautes d’orthographe et de grammaire qui la décorent :


« Je scois que je suis assés malheureux que de vous devoirs trente-cinq louis, j’ignore que cela puisse me desonorés quand on a la bonne volontés de les rendre, ma fasson de penssés, monsieur, est connu, et lorsque je ne serés plus votre débiteur je me fairés connoitre à vous par des terme qui seront diférent des votre. Samedy matin, je vous demenderés un rendevous pour m’acquiter des trente-cinq louis et vous remercier des choses honnettes que vous avés la bontés de vous servir dans votre letre ; je fairés en sorte dy repondre le mieux qu’il me sera possible, et je me flatte que dicy à ce tems vous voudrés bien avoir une idée moins desavantageuse. Soyés convincu que cest deux fois vints quatre heure vont me paroitre bien longue ; quand au respectable tiers que vous me menassés, je le respecte, mais je fais on ne peut pas moins de cas des menasse, et je scois encore moins de gré de la modération. Samedy vous aurés vos trente-cinq louis je vous en donne ma parolle, j’ignore si à mon tours je serés assés heureux pour repondre de ma modération. En attendans de mètre aquittes de tout ce que je vous dois, je suis, monsieur, comme vous le désireres, votre très humble et, etc.

« Sablières. »


Cette missive annonçant des intentions peu pacifiques, Beaumarchais, qui venait de tuer un homme en duel à une époque où les lois contre le duel étaient encore très rigoureuses, répond par une nouvelle lettre, dans laquelle il commence par se défendre de toute pensée blessante en ce qui touche l’honneur de ce pétulant M. de Sablières, et qu’il termine ainsi :


« Ma lettre une fois expliquée, j’ai l’honneur de vous prévenir que j’attendrai chez moi samedi toute la matinée l’effet de votre troisième promesse. Vous ignorez, dites-vous, si vous serez assez heureux pour répondre de votre modération. Sur l’emportement de votre style, on peut déjà juger que vous n’en êtes pas trop le maître par écrit ; mais je vous réponds que je n’aggraverai pas un mal dont je ne suis pas l’auteur, en sortant de la mienne, si je puis l’éviter. D’après ces assurances, si votre projet est de passer en présence les bornes d’une explication honnête et de pousser les choses à outrance, ce que je ne veux pourtant pas présumer de votre première chaleur, vous me trouverez, monsieur, aussi ferme à repousser l’insulte que je tâche d’être en garde contre les mouvemens qui la font naître. Je ne crains donc pas de vous assurer de nouveau que j’ai l’honneur d’être, avec toute la considération possible, monsieur,

« Votre très-humble, etc.

« De Beaumarchais. »

« P. S. Je garde une copie de cette lettre, ainsi que de la première, afin que la pureté de mes intentions serve à me justifier en cas de malheur ; mais j’espère vous convaincre samedi que, loin de chercher des affaires, personne ne doit faire aujourd’hui d’aussi grands efforts que moi pour les éviter.

« Je ne puis m’expliquer par écrit. »

« 31 mars 1763. »