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Sur la copie de cette même lettre se trouvent écrites, de la main de Beaumarchais, les lignes suivantes, qui expliquent le post-scriptum, et qui ont trait au duel avec le chevalier des C***, dont je viens de parler.


« Ceci m’arriva huit ou dix jours après ma malheureuse affaire avec le chevalier des C***, qui paya son imprudence de sa vie, laquelle affaire m’aurait perdu sans la bonté de Mesdames, qui parlèrent au roi. M. de Sablières se fit expliquer l’apostille de ma lettre par Laumur, chez qui je lui avais prêté ces 35 louis, et ce qu’il y a de plaisant, c’est que cela le dégoûta de m’apporter lui-même mon argent. »


Ces détails suffiront, je pense, pour faire comprendre combien était difficile à cette époque la situation d’un jeune parvenu assez bien favorisé par la nature et la destinée pour inspirer beaucoup de jalousie, et trop récemment sorti de sa boutique pour se faire accepter sur un pied d’égalité. On ne s’étonnera pas que le caractère de Beaumarchais se soit formé et trempé de bonne heure au milieu de tant d’obstacles.

Cependant la faveur dont il jouissait auprès de Mesdames, et qui avait commencé en 1759, avait été long-temps plus enviable en apparence qu’utile pour lui en réalité. N’ayant d’autres ressources que les minces émolumens de sa petite charge de contrôleur, non-seulement il était obligé de mettre gratuitement son temps à la disposition des princesses, sans parler de frais de représentation assez onéreux pour lui, mais parfois même, on va le voir, il se trouvait dans la nécessité de procéder en grand seigneur, et de faire, pour des achats d’instrumens coûteux, des avances qu’on ne se pressait guère de lui rendre. Très désireux de s’enrichir, il était trop habile pour compromettre sa faveur en recevant des récompenses pécuniaires qui l’auraient mis au rang d’un mercenaire : il voulait, en attendant une occasion favorable de tirer parti de sa situation, se réserver le droit d’écrire ce qu’il écrivait plus tard : « J’ai passé quatre ans à mériter la bienveillance de Mesdames par les soins les plus assidus et les plus désintéressés sur divers objets de leur amusement. »

Or Mesdames, comme toutes les femmes et surtout les princesses, avaient des fantaisies assez variées qu’il fallait satisfaire immédiatement. On peut lire dans la correspondance de Mme Du Deffant la très amusante histoire d’une boîte de confitures de coings d’Orléans si impatiemment exigée par Mme Victoire, que le roi, son père, fait courir après le premier ministre M. de Choiseul, lequel fait courir après l’évêque d’Orléans, qu’on éveille à trois heures du matin pour lui remettre, à son grand effroi, une missive de Louis XV ainsi conçue :


« Monseigneur l’évêque d’Orléans, mes filles ont envie d’avoir du cotignac ; elles veulent de très petites boîtes : envoyez-en. Si vous n’en avez pas, je vous prie…