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affaires de finances où tout le monde sait qu’il était consommé ; je travaillai à ma fortune sous sa direction, et je fis, par ses avis, plusieurs entreprises ; dans quelques-unes, il m’aida de ses fonds ou de son crédit, dans toutes de ses conseils. » C’est, en effet, sous l’influence de ce maître habile que le jeune fils de l’horloger Caron prit ce goût des spéculations et des affaires qui ne l’a plus quitté, qui n’a pas peu contribué à tourmenter sa vie, et qui, mêlé chez lui à un goût non moins ardent pour les plaisirs de l’esprit et de l’imagination, donne à sa physionomie un caractère tout particulier.

Bientôt, pour faire son chemin plus vite, il éprouva le besoin d’être noble. Du Verney, anobli lui-même, avança à son protégé l’argent nécessaire pour acheter une charge de secrétaire du roi. Ici un inconvénient se présentait : le père Caron continuait son commerce d’horlogerie, et cela pouvait suffire pour compromettre le succès des démarches du postulant. Une lettre de Beaumarchais à son père prouve que, dès ce temps-là, il ne se faisait point illusion sur la valeur morale de ce genre d’anoblissement.


« S’il m’était libre, écrit-il à son père, de choisir les étrennes que je désire recevoir de vous, je désirerais par-dessus tout que vous voulussiez bien vous souvenir d’une promesse tant différée de changer l’énonciation de votre plafond. Une affaire que je vais terminer n’éprouvera peut-être que cette seule difficulté, que vous faites le commerce, puisque vous en instruisez le public par une inscription sans réplique. Je ne puis penser que votre dessein soit de me refuser une faveur qui vous est de tout point égale, et qui met une grande différence dans mon sort par la manière imbécile dont on envisage les choses dans ce pays. Ne pouvant changer le préjugé, il faut bien que je m’y soumette, puisque je n’ai pas d’autre voie ouverte à l’avancement que je désire pour notre bonheur commun et celui de toute ma famille. J’ai l’honneur d’être avec un très profond respect, monsieur et très honoré père,

« Votre très humble, etc.

« De Beaumarchais. »
« Versailles, ce 2 janvier 1761. »


Le père Caron se décida à renoncer tout-à-fait à l’horlogerie pour ne pas entraver la carrière de son fils, et le brevet de secrétaire du roi fut obtenu par Beaumarchais en date du 9 décembre 1761. Cette situation nouvelle ne contribua pas peu à augmenter le nombre de ses ennemis, et les jalousies qu’excitait sa rapide fortune éclatèrent bientôt dans une circonstance qui fut la grande tribulation de cette première époque de sa vie.

Une charge de grand-maître des eaux et forêts devint vacante par la mort du titulaire. Les grandes-maîtrises des eaux et forêts étaient divisées en dix-huit départemens pour toute la France. Cette charge était considérable, lucrative, et coûtait 500,000 livres. Du Verney, qui s’attachait de plus en plus à son jeune ami, lui prêta la somme nécessaire