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pour l’acheter en lui promettant de lui fournir les moyens de le rembourser par des opérations sur les vivres de l’armée, la bouteille à l’encre de l’ancien régime. L’argent était déposé chez un notaire, restait à obtenir l’agrément du roi ; si Beaumarchais l’eût obtenu, la direction de sa vie eût été probablement changée ; déjà Mesdames de France avaient promesse du contrôleur-général que l’agrément serait donné. Leur protégé se tenait pour assuré du succès, mais il avait compté sans ses ennemis.

En apprenant que cet ex-horloger allait devenir leur collègue, quelques grands-maîtres des eaux et forêts s’insurgent et ameutent les autres ; une pétition collective est adressée au contrôleur-général, et ces messieurs menacent de donner leur démission. Voici d’abord une note présentée au nom de Beaumarchais par Mesdames de France au roi, et qui nous met au courant de cette affaire :


AU ROI.

« Beaumarchais, petit-fils d’un ingénieur, — neveu du côté paternel d’un capitaine de grenadiers mort chevalier de Saint-Louis, — depuis sept ans contrôleur de la maison du roi, demande l’agrément d’une charge de grand-maître des eaux et forêts, qu’il a achetée 500,000 francs sur la promesse de M. le contrôleur-général, faite à Mesdames, de lui donner cet agrément, lorsque lui ou son père se serait fait recevoir secrétaire du roi. Il s’est fait recevoir, il est prêt de faire recevoir son père en sa place, si on l’exige. On ne trouve à lui faire aucun reproche personnel ; mais on lui objecte le commerce de l’horlogerie exercé par son père, lequel l’a quitté absolument depuis six ans[1] ; on dit de plus qu’il n’a pu être reçu maître d’hôtel du roi. À cela Beaumarchais répond que plusieurs grands-maîtres actuels et plusieurs anciens ont une extraction moins relevée que la sienne ; il se présente secrétaire du roi, par conséquent noble ; s’il n’a pas été admis maître d’hôtel du roi, c’est qu’il y a un règlement nouveau qui exige la noblesse dans les aspirans, et il n’était pas encore secrétaire du roi.

« L’opposition de quelques grands-maîtres, qui parlent comme au nom du corps (ses ennemis ou ses envieux), doit céder à la promesse donnée par M. le contrôleur-général, à la protection de Mesdames, et à la considération qu’un refus déshonore et ruine un honnête homme. »


M. de la Châtaigneraie, écuyer de la reine, écrit de son côté à Paris Du Verney, au nom de Mesdames, pour le pousser à agir à son tour auprès du contrôleur-général en faveur de Beaumarchais. La réponse de Du Verney, directement adressée à Mesdames de France sous forme de bulletin, donnera une idée de la vivacité de la lutte et de l’intérêt que le jeune candidat inspirait alors aux princesses :

  1. Ceci, étant écrit en 1762, est contredit par la lettre précédente de janvier 1761. Il n’y avait qu’un an que le père Caron avait renoncé au commerce ; mais un pétitionnaire n’est pas tenu d’être minutieusement exact.