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grands-maîtres et que nulle cause grave ne rendait Beaumarchais indigne de figurer parmi eux, c’est que quelques mois après, il put acheter, obtenir et exercer sans opposition une charge beaucoup moins lucrative, à la vérité, mais plus aristocratique que la précédente, une charge qui l’investissait de fonctions judiciaires et qui lui donnait la préséance sur des personnages d’une naissance bien plus relevée que la sienne. Pour se consoler et se venger de n’avoir pu être admis dans la confrérie des grands-maîtres des eaux et forêts, il acheta la charge de lieutenant-général des chasses aux bailliage et capitainerie de la varenne du Louvre ; sa nomination fut présentée à l’agrément du roi par le duc de La Vallière[1], capitaine-général des chasses, dont Beaumarchais devenait ainsi le premier officier, ayant sous lui le comte de Rochechouart et le comte de Marcouville, simples lieutenans des chasses. Or, il est évident que s’il y eût eu à cette époque quelque chose de sérieux à alléguer contre l’honneur de Beaumarchais, jamais les trois personnages que je viens de nommer ne l’eussent accepté sans opposition, l’un comme son représentant, les deux autres comme leur supérieur, dans des fonctions de judicature. Telle était en effet la nature des fonctions semi-féodales qu’occupa Beaumarchais pendant vingt-deux-ans et qu’il remplissait avec une exactitude scrupuleuse.

Il convient à ce propos d’expliquer brièvement en quoi consistait cette charge de magistrat, dans l’exercice de laquelle on a quelque peine à se représenter sans rire l’auteur du Mariage de Figaro. On appelait capitaineries des circonscriptions territoriales où le droit de chasse était exclusivement réservé au roi. Celle dite de la varenne du Louvre embrassait un rayon de douze ou quinze lieues autour de Paris. Pour maintenir ce droit exclusif du roi et décider de tous les faits qui pouvaient y porter atteinte, il y avait un tribunal spécial, le tribunal de la varenne du Louvre, dit « tribunal conservateur des plaisirs du roi, » qui assignait devant lui et condamnait, sur la plainte des officiers et des agens-voyers de la capitainerie, tout particulier ayant contrevenu aux ordonnances destinées à garantir le monopole royal. Ces ordonnances étaient nombreuses et très vexatoires pour les propriétaires, qui ne pouvaient ni tuer du gibier, ni construire une cloison nouvelle, ni faire un changement quelconque sur leur propre terrain, sans en avoir obtenu l’autorisation. Aussi la suppression des capitaineries, en 1789, fut-elle une des mesures les plus populaires votées par la constituante. Ce tribunal tenait ses audiences au Louvre et était présidé par le duc de La Vallière, capitaine-général, ou, à son défaut, c’est-à-dire presque toujours, par le lieutenant-général Beau-

  1. Petit-neveu de la célèbre duchesse de ce nom.