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marchais, qui venait chaque semaine s’asseoir en robe longue sur les fleurs de lis et juger gravement, disait-il, non les pâles humains, mais les pâles lapins. Le fait est qu’il condamnait bel et bien à l’amende ou à la prison les pâles humains, seulement c’était à propos de lapins.

Voici un extrait d’une des nombreuses sentences que Beaumarchais rendait chaque semaine, et qui s’affichaient dans toute la circonscription de la capitainerie. On aimera peut-être à pouvoir considérer sous l’aspect peu connu d’un Bridoison sérieux le personnage multiple que nous étudions :


« De par le roy et monseigneur le duc de La Vallière, pair et grand-fauconnier de France, etc., ou son lieutenant-général.

SENTENCE.

« Qui condamne le nommé Ragondet, fermier, en cent livres d’amende pour ne s’être point conformé à l’article 24 de l’ordonnance du roi de 1669, et à jeter en bas l’hangar et les murs de clôture mentionnés au rapport du 24 du présent mois de juillet. »

Suit le dispositif du jugement qui se termine ainsi :

« Fait et donné par messire Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, écuyer, conseiller du roi, lieutenant-général aux bailliage et capitainerie de la varenne du Louvre et grande-vénerie de France, y tenant le siège en la chambre d’audience d’icelle, sise au château du Louvre, le jeudi 31 juillet 1766. Collationné : Debret. Signé : Devitry, greffier en chef. »


En 1773, après avoir exercé dix ans ces superbes fonctions, messire Caron de Beaumarchais ayant été envoyé par lettre de cachet au For-l’Évêque, on s’avisa de porter atteinte à ses droits de lieutenant-général. Du fond de sa prison, il les revendique aussitôt dans une lettre au duc de La Vallière, où il apparaît fier et imposant comme un baron du moyen-âge.


« Monsieur le duc,

« Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, lieutenant-général au siège de votre capitainerie, a l’honneur de vous représenter que, sa détention par un ordre du roi ne détruisant point son état civil, il a été fort surpris d’apprendre qu’au mépris du règlement de la capitainerie du 17 mai 1754, qui porte que tout officier qui n’apportera point d’excuse valable pour ne pas se trouver à la réception d’un nouvel officier sera privé de son droit de bougies[1], le greffier de la capitainerie a non-seulement fait un état de répartition de bougies où le nom et le droit de bougies du suppliant étaient supprimés par la plus coupable infraction audit règlement, — puisqu’il n’y a pas une excuse plus valable de manquer au tribunal un jour de réception que d’avoir le malheur d’être arrêté par ordre du roi, — mais encore a transporté à un autre officier le droit

  1. On appelait droit de bougies au tribunal de la varenne du Louvre des jetons de présence, c’est-à-dire une indemnité pécuniaire accordée à chaque membre présent.