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levait l’oreille sur ce que son emploi n’était pas donné et qu’il en touchait secrètement les appointemens. Il l’a trop dit, cela m’est revenu ; ma pitié s’est changée en indignation. Son emploi est donné, et il n’a plus qu’à se faire capucin ou à quitter le pays. Le voilà tout-à-fait écrasé ; mais ma pitié est encore revenue, hélas ! sans fruit pour lui. »

Enfin l’existence d’un journal de toute cette affaire, écrit de la main de Beaumarchais et que je n’ai plus retrouvé dans ses papiers, mais qui a servi de base à la relation publiée dix ans plus tard, l’existence de ce journal est constatée maintes fois dans la correspondance, et notamment dans ce billet écrit au père Caron en 1764 par un abbé à qui on avait communiqué le journal :


« J’ai lu et relu, monsieur, la relation qu’on vous envoie de Madrid. Je suis au comble de la joie de tout ce qu’elle contient ; M. votre fils est un vrai héros. Je vois en lui l’homme le plus spirituel, le frère le plus tendre ; l’honneur, la fermeté, tout brille dans son procédé vis-à-vis Clavijo. Je verrai avec joie la suite d’une relation qui m’intéresse tant. Je vous suis bien obligé de votre attention ; elle ne m’est due que par les sentimens d’estime et d’amitié que j’ai pour vous et pour toute votre respectable et aimable famille, et avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, etc.

« 3 juin 1764. »
« L’abbé de Malespine. »


Ce n’est donc pas un roman, ainsi qu’on l’a dit quelquefois, mais une histoire vraie que Beaumarchais inséra dans ses mémoires contre Goëzman, après y avoir été fort heureusement pour lui provoqué par une lettre anonyme où l’on dénaturait et calomniait sa conduite à Madrid.

Voilà pour l’incident Clavijo ; mais cet incident ne dura qu’un mois. Commencé à la fin de mai 4764, il n’en était plus question à la fin de juin, et Beaumarchais séjourna près d’un an à Madrid : il n’en partit qu’à la fin de mars 1765. Qu’y faisait-il ? C’est ici que sa correspondance est assez curieuse.

Il était venu pour venger sa sœur, mais il n’était pas homme à voyager si loin pour un seul objet ; il venait aussi pour faire des affaires, beaucoup d’affaires. Sous ce rapport, l’Espagne était, en 1764, un pays neuf et attrayant pour les spéculateurs à imagination, comme l’était essentiellement Beaumarchais. Il arrivait donc la tête pleine de projets, la poche munie de 200,000 francs en billets au porteur de Du Verney, que ce dernier lui confiait avec défense, à la vérité, d’en user sans une autorisation expresse, mais qui étaient destinés à le poser grandement auprès du ministère espagnol ; il apportait aussi force lettres de recommandation de la cour pour l’ambassadeur de France, et, à peine arrivé, on le voit lancé en plein dans ce tourbillon d’entreprises industrielles, de plaisirs, de fêtes, de galanterie, de musique et de chansons, qui est son élément. Il est dans la fleur de l’âge, il a bientôt