Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vraiment agréable qu’en la regardant comme la récompense des peines de la jeunesse.

« Cependant je ris ; mon intarissable belle humeur ne me quitte pas un seul instant. J’ai fait ici des soupers charmans ; je pourrais vous envoyer des vers faits par votre serviteur sur des séguedilles espagnoles, qui sont des vaudevilles très jolis, mais dont les paroles ordinairement ne valent pas le diable. On dit ici, comme en Italie : les paroles ne sont rien, la musique est tout. J’entre en fureur sur une pareille déraison. Je choisis l’air le plus goûté, air charmant, tendre, délicat ; j’y établis des paroles analogues au chant. On écoute, on revient à mon opinion, on m’accable pour composer. Mais un moment, messieurs, que la gaieté du soir ne gâte pas le travail du matin. Ainsi toujours le même, j’écris et je pense affaires tout le long du jour, et le soir je me livre aux agrémens d’une société aussi illustre que bien choisie. Mais, puisque j’ai parlé plaisirs, et qu’il est onze heures du soir, ma lettre sera partagée comme mon temps : la première partie au sérieux, la fin à l’amusement. Recevez donc la dernière séguedille échappée à ma saillie. C’est une de celles qui ont fait le plus de fortune ici ; vous la trouverez ci-jointe. Elle est entre les mains de tout ce qui parle français à Madrid.

« En vérité, je ris sur l’oreiller, quand je pense comme les choses de ce monde s’engrènent, comme les chemins de la fortune sont en grand nombre et tous bizarres, et comme surtout l’ame supérieure aux événemens peut toujours jouir d’elle-même au milieu de tous ces tourbillons d’affaires, de plaisirs, d’intérêts différens, de chagrins, d’espérances qui se choquent, se heurtent et viennent se briser contre elle. Mais ce n’est pas de la morale que je vous ai promis, c’est une chansonnette fort tendre ; l’air, que je vous enverrai peut-être un autre jour, est plaintif et délicat. J’ai établi pour paroles une bergère au rendez-vous la première et se plaignant du coquin qui se fait attendre. Les voici :


SÉGUEDILLE.

Les sermens
Des amans
Sont légers comme les vents.
Leur air enchanteur,
Leur douceur,
Sont des pièges trompeurs
Cachés sous des fleurs.
Hier, Lindor,
Dans un charmant transport,
Me jurait encor
Que ses soupirs,
Que ses désirs
S’enflammeraient par les plaisirs ;
Et cependant
En cet instant
Vainement
J’attends l’inconstant.