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intrigue amoureuse avec l’électrice Sophie-Dorothée de Hanovre et le sombre et mystérieux épisode qui la dénoua. Doué au moral de certaines qualités de Charles-Jean, il l’emportait sur son frère par l’éclat de l’esprit, l’élégance des manières, tout ce qui tient du goût et du savoir-vivre ; et si chez l’aîné l’officier de fortune héroïque et brillant, le terrible chevalier de Malte passait quelquefois avant l’homme du monde, chez le cadet c’était le courtisan qui dominait, j’allais dire le damoiseau. Sur ce front rose et blanc, paré des plus aimables grâces de la jeunesse, aucun vestige n’apparaissait des temps homériques de la famille, et le vieux maréchal, l’ancêtre, eût souri de pitié en voyant à la main délicate et fine de son petit-neveu l’épée de salon qui remplaçait la lourde flamberge des compagnons de Gustave-Adolphe. Il est vrai que le sourire n’eût point tardé à changer d’expression, car au fond l’arme importe peu du moment qu’on s’en sert en vainqueur, et Philippe était du sang des Kœnigsmark, toujours bouillant, irascible, fougueux, prompt à remonter au cœur à la moindre offense, mais tempéré par les générations nouvelles, mais épuré de sa rudesse antique, ainsi qu’il convient à un sang de noble source, coulant désormais sous la batiste et non plus sous les tricots de maille et les plastrons de peau de buffle. On eût dit que la beauté de sa mère Christine de Wrangel avait passé dans le corps de Philippe et de sa sœur, la divine Aurore, tandis que Charles-Jean tenait plus particulièrement du père la force des Kœnigsmark. J’ai vu à Hanovre un portrait de ce jeune comte de Kœnigsmark[1]. On n’imagine rien de plus fier, de plus gracieux, de plus hautain. De pareils traits eussent été dignes du pinceau de Van-Dyck. L’œil est grand, bien ouvert et plein de flammes, la chevelure d’un noir de jais retombe en boucles soyeuses à la manière des raffinés du temps de Louis XIII, et sur la lèvre d’un contour voluptueusement arrondi flotte je ne sais quel indice de ce penchant à l’ironie, au persiflage, à la causticité, qui fut l’un des traits caractéristiques et peut-être la perte de cette nature toute spirituelle et mondaine. À comparer les deux images, Philippe ressemble évidemment beaucoup à sa sœur Aurore, la célèbre maîtresse de l’électeur Frédéric-Auguste ; seulement le visage d’Aurore ne respire que douceur et bienveillance, et vous chercheriez en vain dans cette physionomie aimable et tendre ce signe de la moquerie et de l’épigramme qui vous frappe chez le frère : signe charmant à la fois et fatal ; car si de ce don original le monde raffole, il ne manque jamais de poursuivre à l’occasion ceux que le diable en a dotés, et ce qui fit leur fortune et leurs succès se trouve faire un beau jour leur ruine et leur abandon. Qui plus cruellement que Philippe de Kœnigsmark éprouva ce sort ? Ajoutons que personne, hélas ! ne

  1. Chez Mme la baronne de Beck, dont le père l’acheta, ainsi que celui de l’électrice Sophie-Dorothée, à la vente d’une célèbre galerie de tableaux.