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et de Mlle d’Olbreuse, avec cette princesse Sophie-Dorothée de Brunswick-Lünebourg, dont les infortunes vous rappellent involontairement ce vers si mélancolique du poète de Francesca :

I tuoi martiri mi fanno triste e pio.

Pendant les absences que faisait de temps en temps sa mère pour se rendre à Stockholm ou à Copenhague, Aurore tenait les comptes de la maison, lesquels aujourd’hui existent encore. Curieux documens, où l’on voit la divine enchanteresse, qui depuis eut à ses pieds tous les princes de l’Europe, consigner bourgeoisement, en bonne et digne ménagère, la dépense de la semaine : tant de livres de veau, de mouton et de bœuf, tant pour le pain, les œufs, le beurre, les légumes, tant pour les aumônes ! À quinze ans, la jeune fille entre dans le monde. Accompagnées de leur mère, Mlle de Kœnigsmark et sa sœur Amélie-Wilhelmine visitent les cours d’Allemagne et de Suède. L’éducation d’Aurore est terminée : elle sait l’allemand et le français, l’anglais et l’italien ; elle sait l’histoire et l’astronomie, joue du théorbe, chante de la voix la plus séduisante, cause à ravir et compose des vers charmans. D’une pareille enfant, quelles merveilles n’a-t-on point droit d’attendre, et les délicieux échos que trouvent au fond du cœur de la vieille comtesse tant de succès et de complimens dont sa fille est l’objet ! pour Amélie-Wilhelmine, qui fut depuis la comtesse de Lewenhaupt, on nous la représente comme formant avec sa sœur le plus remarquable contraste. On ne dit point précisément qu’elle fût laide ; mais, de sa beauté et de ses grâces, pas un mot : tout ce qu’on raconte, c’est qu’elle avait le nez rouge, et que, par ses façons d’être altières et déplaisantes, elle éloignait d’elle autant de cœurs que l’aimable Aurore en gagnait, ce qui ne l’empêcha point de se marier très sortablement, grâce aux beaux yeux de sa cassette, car elle avait une dot convenable, et d’être en somme, dans tout le cours de sa vie, beaucoup plus heureuse que sa belle et brillante sœur.

Frédéric-Auguste venait de monter sur le trône électoral de son frère, et ces vives ardeurs qu’allume au sein d’un jeune souverain le sentiment de la toute-puissance rayonnaient poétiquement au front du gracieux prince, dont les agrémens personnels eussent, à défaut du prestige d’une couronne, mérité de triompher des cœurs les plus rebelles. Vers cette époque arrivèrent du fond du Nord, à la cour de Dresde, deux nobles dames amenées là par des intérêts de famille et des démêlés avec un banquier de Hambourg[1], détenteur à leur préjudice de sommes considérables et de riches bijoux. L’une de ces dames était la comtesse de Lewenhaupt, l’autre Mlle Aurore de Kœnigsmark dans

  1. Un des nombreux hommes d’affaires du comte Philippe, de ce frère dont les deux sœurs recherchaient dès cette époque la trace dans les différentes cours d’Allemagne.