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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

tout l’éclat de sa jeunesse et de ses attraits. Ses yeux éveillés et fendus en amande montraient sur l’émail le plus pur deux étincelantes étoiles brunes, où se mêlait aux doux reflets d’une ame tendre et sensible le vif rayon de l’esprit et de l’espièglerie. Quand elle riait, elle avait, disent les contemporains, des clignemens irrésistibles, et de ses paupières à demi closes s’échappait comme une double expression de malice et de volupté ; son nez était d’une régularité merveilleuse ; sa bouche, ravissante en sa mobilité capricieuse, laissait voir des dents de la couleur des perles. Les roses naturelles de son teint eussent fait parler d’elles sans la mode du temps qui voulait qu’on se mît du rouge ; elle avait la démarche fière, la taille svelte et souple, la gorge, les bras et les mains d’une blancheur extrême ; ses cheveux étaient d’un certain blond qu’on a depuis appelé blond suédois. En un mot il semblait, pour employer le langage du siècle, que la nature se fût épuisée en sa faveur. À toutes ces perfections du corps elle joignait beaucoup d’habileté, des manières caressantes, un badinage léger, une raillerie fine, des saillies heureuses, que dirai-je ? un pinceau vif et brillant pour peindre les caractères ou les ridicules, des idées singulières et singulièrement rendues ; beaucoup de politesse, de générosité, de désintéressement, une ame bienfaisante, toujours prête à rendre service, et ne nuisant jamais ; sans aigreur, sans fiel, sans rancune. Une personne douée de qualités pareilles devait nécessairement captiver le cœur de Frédéric-Auguste. Ce prince l’aima d’abord avec une passion extrême ; dans la suite, lorsque la légèreté de ses sentimens l’eut porté à la quitter, il eut toujours à son égard de grandes attentions, et, de toutes ses maîtresses, Mlle de Kœnigsmark fut la seule pour laquelle il témoigna jusqu’à la fin conserver de l’estime.

À Dresde, les comtesses recevaient à l’ordinaire les visites de ce qu’il y avait de plus galant à la cour. Le jeune électeur les vint voir, et ne tarda pas à s’enflammer pour les charmes de l’aimable Aurore. Son impatience à se déclarer était vive. Un soir que les deux Suédoises se trouvaient au cercle de l’électrice-mère, Frédéric-Auguste y parut, et, après avoir adressé quelques mots aux dames de qualité qui étaient venues faire leur cour, s’approchant de la jeune comtesse de Kœnigsmark :

— Je ne sais, mademoiselle, lui dit-il, si ce n’est pas vous blesser que de vous avouer que votre mérite me force à ne vivre que pour vous, et que je me trouverais le plus malheureux de tous les hommes si mes respects, mes soins et mes hommages vous étaient désagréables.

— Monseigneur, répondit Aurore, je m’étais flattée, en venant ici, que je n’aurais qu’à me louer de la générosité de votre altesse électorale, et je ne croyais pas que ses bontés dussent me faire rougir. Je la supplie donc très humblement de vouloir bien s’abstenir de discours