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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

Grâces, la muse élégante et folâtre de la plus charmante des cours d’amour ! On prétend que l’air de ces caveaux funèbres a la propriété de conserver les corps. Triste propriété, si l’on en juge à cette espèce de parchemin raccorni, à ce quelque chose de desséché, de jaune, de hideux, qui s’offre à vos regards, dès que le couvercle se lève de cette sépulture fameuse et presque journellement visitée ! Quel luxe de vêtemens ! quelle pompe ! et jusque dans la mort quels riches et galans apprêts ! Jamais fille de Pharaons ne vit s’enrouler autour d’elle si merveilleuses bandelettes. Qu’on se figure ce que le vieux point d’Angleterre a de plus précieux et de plus rare, des flots de malines, des guipures sans prix inondant de leurs trésors une longue robe en damas bleu ; puis ce sont des colliers et des pendans d’oreilles, des bracelets et des anneaux. Partout le diamant et le saphir, l’émeraude et le rubis : il semble que l’antique flamme de ses yeux réside dans ces pierreries. Quel dommage que M. le comte de Saxe ait ignoré tant de richesses, inutilement ensevelies dans le cercueil de sa mère ! À tous ces ornemens, à tous ces joyaux, à toutes ces breloques, il aurait certes trouvé, lui, un emploi plus conforme à leur nature. Ainsi repose, dans l’or de Golconde et les tissus d’Ophir, l’aimable chanoinesse de Quedlinbourg. À sa gauche et à sa droite sont les deux comtesses de Schwarzbourg, ces deux vénérables matrones qui de leur vivant lui jouèrent tant de méchans tours et dont l’influence atrabilaire l’empêcha finalement d’être abbesse. Pauvre femme ! par combien d’agitations et de tourmens secrets, par combien de fatigues, de tribulations, de tracas et de misères elle a dû passer pour en arriver à dormir entre ses deux plus fières ennemies ! « N’aurons-nous pas l’éternité pour nous reposer ? » disait le grand Arnauld. Je ne connais pas d’individus à qui cette parole puisse s’appliquer mieux qu’à certaines personnes exclusivement vouées au monde, et qui, toujours en proie à de nouveaux soucis, à de nouveaux besoins, à des excitations nouvelles, incessamment passionnées de l’affaire du moment, quelle qu’elle soit, dépensent, à tenir leur salon, à régler un quadrille, à conquérir un succès, des qualités qui serviraient à gouverner l’état, et, de frivolités en frivolités, gagnent le terme sans trouver une minute pour se reconnaître. Aurore de Kœnigsmark fut de ce nombre, et si cette riche nature, cette éducation brillante, ces talens, n’ont laissé dans l’histoire qu’une trace fugitive, il faut en accuser le prince égoïste et banal, qui, ne la distinguant en quelque sorte que pour la délaisser, livra au caprice et au malaise d’une agitation désormais stérile une existence dont il avait nonchalamment éveillé les instincts superbes et dominateurs.


H. Blaze de Bury.