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sont en présence : M. Franklin Pierce, unique candidat des démocrates : le général Scott, candidat officiel des whigs, adopté par la convention de Baltimore ; M. Daniel Webster, porté par les whigs dissidens, principalement dans le Massachusetts ; M. Hale, porté par les free soilers, et enfin un M. Goodell, porté par les abolitionistes extrêmes, et dont la candidature est parfaitement insignifiante. Un seul de ces candidats a réellement de grandes chances de succès, c’est M. Franklin Pierce. Aucune opposition n’a été faite au sein du parti démocratique contre sa nomination ; il est accepté à la fois par les deux grandes fractions de ce parti, les vieux démocrates (old hunkers) et la jeune Amérique. Sa très obscure personne a été défendue, admirée et comblée d’éloges à la fois dans la même soirée par le général Gass et le représentant le plus emphatique de la jeune Amérique, M. Douglas. C’est dans la réception qui leur a été faite à New-York par le club des jeunes démocrates que ces deux sénateurs ont prononcé leurs discours en l’honneur de M. Pierce ; on peut louer la modération, la réserve, la fidélité à son parti que le général Cass, candidat frustré dans ses espérances, a montrées dans ce discours ; on peut louer ses sentimens religieux et le mépris qu’il a témoigné pour les doctrines démagogiques, — socialisme, mormonisme, etc., — qui commencent déjà à courir en Amérique ; mais que dire du discours de M. Douglas, que les Américains ont baptisé du sobriquet de petit géant, moins sans doute à cause des services qu’il a rendus, et qui sont peu nombreux, que pour ses métaphores et les desseins vraiment gigantesques qu’elles expriment ? M. Douglas espère bien que Cuba sera annexé, que l’Espagne le veuille ou ne le veuille pas, que le Mexique sera englouti, que les trois voies de communication entre les deux Océans, c’est-à-dire la voie du Tehuantepec, l’isthme de Panama, la voie du Nicaragua, seront percées exclusivement au profit de l’Amérique du Nord, sans participation aucune de l’Angleterre et des autres puissances européennes, sans qu’on ait à les consulter et à les admettre aux bénéfices d’une entreprise commune. Il espère aussi que les États-Unis interviendront dans tous les conflits entre les peuples et leurs gouvernemens, et bien d’autres choses encore. Rien ne peut rendre l’ardeur sanguine, l’esprit de rapacité, les pensées de convoitise, en un mot la faim et la soif de cette politique vorace, insatiable, qui, selon un proverbe vulgaire, a les yeux plus gros que le ventre. Picrochole n’est rien en comparaison de M. Douglas : Picrochole faisant les projets de Gargantua peut seul donner une idée de la politique de cet homme, qui est le représentant de la fraction la plus jeune, la plus nombreuse du parti démocratique, et conséquemment celle qui a le plus d’avenir, hélas ! La salle où ce discours a été prononcé était comble ; il a même fallu que des orateurs haranguassent la foule qui se tenait aux portes, ne pouvant entrer, désireuse qu’elle était d’avoir aussi sa part de ces friandises patriotiques. On peut voir déjà entre quelles influences contraires sera balancé le prochain gouvernement, si M. Pierce, comme tout le fait supposer, devient président de l’Union. La résistance, qui sera trop faible malheureusement, viendra du côté du général Cass et de ses amis, et l’esprit d’entreprise à outrance, le go-ahead à toute bride, viendra du côté de M. Douglas. Heureux les États-Unis si l’influence de ce dernier et de ses pareils ne l’emporte pas tout-à-fait ! La locomotive républicaine, qui va déjà assez bon