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sophisme si grossier. Si, au lieu de vivre dans des jours de piété et de soumission, il fût venu au monde le lendemain d’une révolution morale qui aurait ébranlé le principe même de la foi, il aurait consacré à raffermir les fondemens du dogme une part de cette force d’esprit qu’il employa tout entière à en déduire les conséquences; mais au moyen-âge, ne nous lassons pas de le répéter, l’église ne convertissait pas, elle instruisait : elle faisait le métier de précepteur universel, elle s’en acquittait dans les moindres, dans les plus humbles détails. Elle n’enseignait pas seulement le droit romain ou la philosophie, elle apprenait les premiers élémens de grammaire et de linguistique. Elle façonnait le gosier rauque des Germains à articuler les sons harmonieux de la Grèce et de Rome. Les églises et les monastères étaient, pour tout le monde du moyen-âge, comme les écoles élémentaires des langues antiques. Il en est de l’admirable langue latine comme des lois romaines; sans la messe et la Bible de saint Jérôme, elle aurait disparu sans retour, entraînant avec elle tous les chefs-d’œuvre de l’esprit auxquels elle avait prêté sa grâce et sa force. Le vainqueur aurait fait sa langue comme sa loi. Il ne fallait pas moins qu’une institutrice divine pour faire asseoir sur les bancs d’une classe, épeler, compter et lire, des écoliers de la taille des Goths d’Alaric ou des Sicambres de Clovis. L’église daigna leur enseigner l’alphabet. Si le latin n’a pas rejoint dans la nuit des temps les idiomes disparus de Carthage ou de Babylone, si les inscriptions de Rome antique ne sont point des hiéroglyphes exerçant aujourd’hui l’imagination des voyageurs et des érudits, il en faut remercier ou accuser l’église. C’est le christianisme qui a été sur ce point encore le bienfaiteur ou le corrupteur (si M. l’abbé Gaume le veut) de l’intelligence humaine.

La conservation, la consécration des langues anciennes, par suite leur mélange avec les idiomes modernes auxquels elles ont donné la force, la noblesse et la clarté, tel est, suivant nous, l’inappréciable service que l’église a rendu aux lettres au moyen-âge. C’est bien assez pour qu’elles en doivent être éternellement reconnaissantes, et pour que l’on ne puisse qualifier en termes trop sévères leur ingratitude. Irons-nous plus loin, essaierons-nous d’établir, comme M. l’abbé Gaume, qu’il y a eu au moyen-âge toute une littérature nouvelle, égale en tout point à la littérature antique, où l’on peut étudier avec autant de perfection et de profit les modèles du beau et les règles du goût? Dirons-nous que l’éloquence de saint Bernard vaut, au point de vue de l’art, celle de Démosthène ou de Bossuet, la poésie de saint Thomas celle de Virgile ou de Racine? Au risque d’encourir le reproche de modération, si cruel aux yeux des partis extrêmes et qui a mené plus d’une fois les gens au supplice, nous avouerons qu’en exagérant l’admiration qu’on doit aux monumens littéraires du moyen-âge, nous craindrions de la compromettre. A nos yeux, le moyen-âge conserve