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les remarques fines sans recherche, les hautes inspirations sans emphase. C’était un cheval aux membres nerveux et aux aides fines qui n’attendait que l’éperon du cavalier. Tel est, même avant Thucydide, le grec du siècle de Périclès, même avant Cicéron le latin des derniers temps de la république, même avant Bossuet le français du siècle de Louis XIV.

La latinité du moyen-âge réunissait-elle ces qualités? M. l’abbé Gaume le soutient sans balancer. Nous osons croire que, pour se ranger de son avis, il faut un assez grand effort de parti pris. Autant le moyen-âge a rendu service au monde en conservant l’intelligence du latin, autant l’usage qu’il en a fait personnellement a été et devait être ingrat et malheureux. Les conditions mêmes que le moyen-âge imposait à la langue latine ne lui permettaient pas de se prêter à une renaissance littéraire. Pour en faire pénétrer les élémens dans les mémoires courtes, dans les cerveaux rebelles des nouvelles populations chrétiennes, il avait fallu la simplifier, la mutiler par une froide analyse. M. l’abbé Gaume lui-même en convient dans un examen assez ingénieux des différences de la latinité chrétienne et de celle du siècle d’Auguste[1]. Il ne faut plus demander au latin du moyen-âge les inversions hardies, les larges constructions périodiques du style cicéronien. Les inversions, les périodes ne sont possibles que lorsqu’une connaissance correcte des terminaisons spécifiques de chaque nom et de chaque verbe permet de retrouver la suite logique des pensées sous leur désordre apparent. L’esprit enfantin des Barbares se serait perdu dans ces détours. La sécheresse d’un ordre plus rationnel, mais moins vif, a remplacé les allures libres de l’ancienne phrase latine. Il a fallu aussi immoler, par un sacrifice analogue, cette prosodie pleine de nombre qui faisait de la poésie une vraie sœur de la musique, mais qui échappait à des oreilles rustiques. Le sentiment de l’accentuation ayant disparu, l’église a dû y substituer dans ses poésies le plus grossier des rhythmes, celui dont les plus grands maîtres ont de la peine à conjurer la monotonie, l’égalité des syllabes et la rime. Le cliquetis des assonances a remplacé la modulation des vers antiques. C’est ainsi que la langue d’Auguste a été dépouillée de toutes ses grâces. On dirait que le fer lui a retranché toutes les boucles de sa chevelure mondaine. S’est-elle au moins, comme l’espère M. l’abbé Gaume, empreinte d’un esprit nouveau? Le christianisme lui a-t-il fait trouver des ressources ignorées qui remplacent ce qu’elle a perdu? Nullement. L’esprit des temps nouveaux la travaille en effet, la déforme, la torture, mais sans réussir à la transformer. La raison en est simple. Pour devenir une langue nouvelle, il a manqué à la basse latinité une indispensable condition : elle n’a jamais été la langue populaire. En cessant d’être

  1. Le Ver rongeur, chap. XXVI, p. 340 et suiv.