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vraie beauté littéraire. C’est en inaugurant ainsi les lettres et les langues nouvelles, c’est en faisant violence à toutes ses habitudes, que le moyen-âge a pu créer son véritable chef-d’œuvre poétique. Tel est le mérite et l’originalité de la Divine Comédie; appartenant au moyen-âge par l’esprit, elle est moderne par la forme; elle nous peint les sentimens d’un temps qui n’a plus rien de commun avec nous dans une forme qui est déjà la nôtre; elle nous laisse ainsi du moyen-âge un portrait vivant où nous pouvons l’étudier tout à notre aise. Qui veut se faire une idée juste du moyen-âge dans son ensemble, politique, philosophie, littérature, n’a qu’à lire et relire sans cesse la Divine Comédie. Le moyen-âge y est tout entier, animé et debout. Nous y reconnaissons, ce semble, tous les traits que nous venons d’essayer de crayonner à la hâte : d’un côté l’inextinguible ardeur de passions semi-barbares, qui ont soif de vengeance et de supplices; de l’autre, une théologie sereine et pure se dessinant dans une lumière éthérée; entre cette terre baignée de carnage et ce ciel brillant de mille feux, les génies de l’antiquité s’élevant comme des demi-dieux. Ugolin, Béatrice et Virgile, voilà Dante et voilà le moyen-âge. Tous les élémens dont nous avons fente l’analyse s’y trouvent peints au naturel.

Nous prions tout lecteur de bonne foi de nous dire, la main sur la conscience, si ce tableau lui paraît présenter cette paix, cette harmonie politique et sociale dont on se plaît à nous entretenir. Sincèrement, ces mœurs du moyen-âge qui arrachent à Dante tant de satires sanglantes et tirent de son cœur ulcéré tant d’invectives amères, ces élémens discordans, plutôt rapprochés que combinés et qui se heurtent plus qu’ils ne se mêlent, formaient-ils dans leur ensemble un édifice régulier et durable de société? Nous sommes sûr que tout appréciateur désintéressé sera de notre avis. Le moyen-âge n’a été qu’une longue lutte entre la barbarie et la civilisation. La paix n’y existe nulle part. Toutes les phases de son histoire sont les incidens de cette bataille. Il fallait que l’une ou l’autre l’emportât. Grâce à l’église, c’est la civilisation qui a triomphé. Son triomphe, en amenant nécessairement la fin de la lutte, a mis un terme aussi à l’état social du moyen-âge. La société du moyen-âge s’est transformée quand ont cessé de prévaloir les raisons qui l’avaient fait naître. Elle a fini tout naturellement quand l’église a eu achevé de dompter et de polir la barbarie. Quand, sous l’influence chrétienne, des pouvoirs civils ont été fondés, assez humains, assez justes, assez éclairés pour offrir aux nations une autorité protectrice, l’église s’est retirée par degrés de la scène politique pour rentrer dans le fort inaccessible de sa domination spirituelle. Quand les sociétés temporelles ont été en mesure de faire leurs affaires par elles-mêmes, l’église, sans cesser de les inspirer, a cessé de se charger directement de les gouverner. Quand les eaux du déluge ont été complètement retirées du sol, l’arche a rendu à la terre ses habitans. Est-ce là ce dont on s’afflige quand