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Un jour qu’il passait à une petite distance de la demeure du vieux jardinier, Chérumal se laissa aller à la rêverie, si bien que l’éléphant s’approcha sournoisement du jardin, et, apercevant Mallika, s’arrêta pour lui faire un selam.

— Soubala, dit à demi-voix Mallika, tu m’as tirée d’un grand péril; mais ce n’est pas à toi seul que je suis redevable, c’est à ton maître aussi...

Chérumal ouvrit les yeux et redressa la tête comme l’oiseau qu’éveille dans les ténèbres la douce clarté du jour; il vit que Mallika portait à son cou le collier de corail.

— Tu m’as donc pardonné? demanda-t-il avec empressement.

— Mon père, dit la jeune fille en appelant le vieux jardinier, venez parler à Chérumal; il n’ose me regarder en face de peur que je ne lui jette un sort.

— Ah! mahout! s’écria le vieillard, à ton âge j’étais plus hardi! En fait de charme, celui qui émane de deux beaux yeux est le plus puissant, car il peut seul guérir le mal qu’il a fait. Approche donc... Tu vois bien que Mallika t’a pardonné tout, jusqu’au service que tu lui as rendu!...

A la grande joie du vieux jardinier, Mallika consentit donc à mieux accueillir l’honnête et fidèle Chérumal. Depuis ce jour, le mahout recouvra sa gaieté, et Soubala n’eut plus de caprices. Si par hasard vous allez à Alepe, vous remarquerez sans doute un bel éléphant qui excelle dans l’art de faire des courbettes: c’est lui, c’est ce même Soubala. Quand il y a au caravanséraï d’Alepe des étrangers de distinction, il s’y présente, conduit par son mahout Chérumal, dont la face réjouie ne porte plus la trace des peines passées. Sur un signe de son maître, le docile animal enlève et pose à califourchon sur sa trompe deux ou trois marmots fort éveillés qui semblent jouer avec lui comme avec un ami. Après les avoir balancés dans les airs avec précaution, il les dépose l’un après l’autre entre les bras de leur mère, qui n’est autre que la belle Mallika.


TH. PAVIE.