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gnifie : Je vous aime beaucoup, mais je ne puis vous épouser qu’autant que je saurai à quoi m’en tenir sur la valeur de votre habitation ou que votre oncle s’engagera à vous laisser sa fortune. Cependant que ceux qui seraient portés à se récrier sur cet excès de prudence n’oublient pas que Beaumarchais, après tout, trop prudent sans doute en amour, venait d’agir, comme ami, assez imprudemment, puisqu’il aventurait une assez forte somme en argent et en marchandises sur l’habitation de Saint-Domingue. Il n’en est pas moins vrai qu’une jeune fille indifférente aurait été médiocrement touchée de ce mélange de tendresse et de calcul ; mais, quand on aime, on n’y regarde pas de si près, et la preuve que le cœur de Pauline était d’abord plus engagé que celui de Beaumarchais, c’est sa réponse. On la trouvera, je pense, plus intéressante que l’épître un peu entortillée qu’on vient de lire. Il me semble qu’elle respire l’aimable abandon d’un jeune cœur ingénu et vraiment épris. La voici :


« Votre lettre, monsieur mon bon ami, m’a jetée dans un trouble extrême ; je ne me suis pas trouvée assez forte pour y répondre toute seule ; je n’ai pas cru non plus devoir la communiquer à ma tante ; sa tendresse pour moi, la chose dont je fais le plus de cas en elle, ne m’eût été d’aucun secours. Vous allez sans doute être fort étonné du parti intrépide que j’ai pris ; l’instant était favorable, votre lettre était pressante, mon embarras m’a inspiré mieux que n’eût peut-être fait le plus prudent conseil. Je suis partie et j’ai été me jeter dans les bras de mon oncle lui-même. Le premier pas une fois franchi, je lui ai ouvert mon cœur sans réserve. J’ai imploré ses lumières et sa tendresse, enfin j’ai osé lui remettre votre lettre, sans votre aveu, mon bon ami : tout ceci est un coup de ma tête, mais que je suis contente d’avoir surmonté ma timidité et ma folle rougeur pour lui faire lire dans mon ame ! Il m’a semblé que ma confiance en lui augmentait sa bienveillance pour moi. En vérité, mon bon ami, j’ai très bien fait de l’aller voir de mon chef. J’ai acquis, en raisonnant avec lui, la certitude de son attachement, et ce qui me flatte encore plus, c’est que je l’ai trouvé plein d’estime pour vous, et vous rendant toute la justice que vos amis s’empressent à vous rendre. Je l’en aime mille fois davantage. À l’égard des réponses aux articles intéressans de votre lettre, il veut en conférer avec vous-même. Je me tirerais trop mal de ce détail pour oser l’entreprendre. Il désire vous voir à cet effet.

« Vous m’avez écrit que votre sort est entre mes mains, et que le mien est dans celles de mon oncle ; je vous remets à mon tour mes intérêts ; si vous m’aimez, comme je le crois, faites passer un peu de cette aimable chaleur dans l’ame de mon oncle ; il se plaint de s’être lié d’avance. Mon bon ami, c’est dans cette conversation qu’il faut que votre cœur et votre esprit travaillent en même temps ; rien ne vous résiste quand vous le voulez bien. Donnez-moi cette preuve de votre tendresse ; je regarderai les effets et la réussite comme la marque la plus convaincante de l’empressement que vous avez pour ce que vous appelez si joliment votre bonheur, et que votre folle de Pauline n’a pas lu sans un battement de cœur effroyable. Adieu, mon