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lorsque son père lui reproche une trop grande familiarité avec Pauline, rougit et proteste que le jour n’est pas plus pur que le fond de son cœur. Beaumarchais était un Mélac passablement dégourdi par la vie de cour et beaucoup moins inoffensif que le jeune premier de son drame. Il y eut donc dans cette liaison quelques momens un peu vifs où Pauline eut besoin d’appeler à son aide toute la provision de vertu que le XVIIIe siècle fournissait aux jeunes filles amoureuses, et nous savons que cette provision était assez mince. Il faut espérer cependant qu’elle a suffi pour préserver Pauline. Ce qui se passait ne nous est révélé que par quelques lettres d’elle qui sont un peu bien expressives, mais qui cependant annoncent de sa part une volonté assez ferme de résister au danger, et ce qui aide à croire qu’elle y a réussi, c’est qu’après tout c’est elle qui a fini, on va le voir, par refuser d’épouser Beaumarchais.

Voici une de ces lettres accentuées de Pauline. Je la publie au risque d’être accusé par quelques lecteurs très graves de donner trop de place à des détails un peu légers, mais la vie de Beaumarchais n’est pas celle d’un quaker, et, tout en usant le plus discrètement possible des matériaux que j’ai sous les yeux, je dois conserver au sujet sa véritable physionomie. Il m’a semblé d’ailleurs que dans cette circonstance l’ingénuité d’une jeune fille bien élevée d’un autre siècle, — ingénuité qui, à mon avis, se reconnaît encore sous des formes un peu hardies, un peu libres, qu’elle n’aurait plus aujourd’hui, — était par cela même assez curieuse à observer comme indice du changement des mœurs et des temps. Nous laisserons donc parler Pauline :


« Je vous réponds, cher ami, du séjour de la tranquillité, mais le cœur et l’ame dans une agitation que je ne puis contenir ; quelle charmante lettre que la vôtre ! qu’elle est tendre, et pourtant qu’elle est dangereuse[1] ! Tu voudrais me former l’illusion du bonheur, sans que cela prenne sur mon repos[2], et tu le crois possible : que les hommes sont injustes ! Ai-je plus de vertu, plus de force que toi, qui ne saurais te contenir ? Au moins je ne désire pas l’occasion, pourquoi la faire naître ? Je suis contente que tu m’aimes ; je ne veux pas d’autre bien que je n’y sois autorisée. Pourquoi m’exciter en vain ? N’est-ce pas me donner du tourment à plaisir ? Je ne veux point de sacrifice ; il faut attendre ; j’en conçois les raisons, je m’y prête ; donne-moi celui de tes désirs par respect pour la vertu et par amour pour ma tranquillité, et je t’en chérirai davantage. Puis-je sortir de tes bras sans être fort émue, sans éprouver mille peines ? Ne devrais-tu pas me ménager, puisque tu sais qu’il faut attendre ?… Quand j’ai reçu ainsi des preuves de ton affection, je deviens

  1. J’ai vainement cherché cette lettre dangereuse à laquelle répond Pauline ; je ne sais si elle l’a gardée ou si Beaumarchais l’a brûlée. Ce qui est certain, c’est que dans toutes les lettres de ce dernier je n’en ai trouvé aucune qui puisse s’adapter à celle de Pauline, et qui mérite l’épithète de dangereuse.
  2. C’était sans doute quelque compromis un peu subtil entre la passion et le devoir.