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Le jeune et vertueux Dorval, causant par exemple avec la jeune et vertueuse Constance qu’il hésite à épouser de crainte d’avoir des enfans qui deviendront les suppôts ou les victimes du fanatisme, lui tient un beau discours qui commence ainsi : « Constance, je ne suis point étranger à cette pente si générale et si douce qui entraîne tous les êtres et qui les porte à éterniser leur espèce, etc. » Diderot appelait cela rétablir le naturel dans le dialogue.

Après Diderot et avant Beaumarchais, un esprit doué de qualités qu’on trouve rarement unies, surtout au XVIIIe siècle, un esprit fin, judicieux et naïf, d’une ingénuité aimable et souvent profonde, Sedaine, sans écrire aucune théorie, avait tiré du genre préconisé, mais assez mal défini par l’auteur du Fils naturel, tout ce que ce genre était capable de produire, et il avait fait jouer en 1765, avec un très grand succès, le Philosophe sans le savoir, le seul ouvrage vraiment remarquable qu’ait produit l’école de Diderot. Aussi ce dernier disait-il naïvement en parlant de Sedaine : « Cet homme me coupe l’herbe sous le pied. » En effet, le drame simple, gracieux, attachant, de Sedaine, tuait les drames sentencieux, ampoulés et confus de Diderot.

C’est à ce moment que Beaumarchais entre dans la carrière, en 1767, à trente-cinq ans, après avoir expérimenté la vie sous toutes ses faces, et persuadé à tort que son talent l’appelait surtout à réussir dans le genre sérieux, dont il expose à son tour la théorie. Cette théorie est en général empruntée à celle de Diderot, pour qui Beaumarchais professe l’admiration la plus vive ; elle est présentée dans un style moins chaleureux et plus incorrect que le style de Diderot, mais avec plus de précision, de netteté et de méthode. On en saisit mieux les points principaux. Sans adopter la distinction trop subtile des quatre genres dramatiques inventés par le maître, Beaumarchais plaide pour l’introduction du drame sérieux, « qui tient le milieu, dit-il, entre la tragédie héroïque et la comédie plaisante. » Le premier, je crois, des dramaturges du temps, il intitule sa pièce drame[1]. Le drame, suivant lui, doit être écrit en prose ; il doit être consacré à peindre des situations tirées de la vie ordinaire ; « le dialogue doit être simple et se rapprocher autant que possible de la nature ; sa véritable éloquence est celle des situations, et le seul coloris qui lui soit permis est le langage vif, pressé, coupé, tumultueux et vrai des passions. » Diderot maintenait les trois unités : son disciple n’en dit rien, il ne parle pas davantage du mélange des tons, et c’est ce drame ainsi conçu qu’il présente comme supérieur à la tragédie et à la comédie.

Que cette sorte de drame domestique en prose ait sa valeur au-dessous de la tragédie, du drame élevé et de la comédie, cela se peut ad-

  1. Les deux drames de Diderot et celui de Sedaine étaient encore intitulés comédies.