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entier. Elle s’agenouille, et toutes ses pensées accumulées débordent comme les flots qui brisent leurs digues. Au milieu de son ardent colloque avec Dieu, une exécrable idée la poursuit : elle sait, elle voit qu’entre elle et son crime il y a la perte de son honneur. cette pensée l’irrite, mais ne l’arrête pas. — « Qui suis-je, s’écrie-t-elle, qui suis-je, ô Seigneur Dieu, pour disputer avec toi? Ai-je le droit de préférer mon corps sans tache à ta volonté suprême? Maintenant tout devient clair à mes yeux; je sais pourquoi tu m’as faite belle et pourquoi tu m’as refusé un enfant; je sais pourquoi mon époux s’est détourné de moi avec crainte au seuil de la chambre nuptiale. Tu m’avais élue pour cette mission sinistre; aucun lien ne devait m’enchaîner. Ce qui m’a semblé long-temps une malédiction, c’était le signe que tu me choisissais entre toutes pour accomplir ton œuvre. Ta main redoutable était sur moi, non pas pour me maudire, ô Dieu de mes pères, mais pour me consacrer. » — Ainsi croît sans cesse l’exaltation de son ame. Si les sentimens de la femme se réveillent, si la pudeur et la chasteté se révoltent, elle les force à se soumettre. Pour se dompter elle-même, pour s’accoutumer à l’idée de son sacrifice, elle en parle tout haut avec une effrayante audace. Comment ne pas voir que le fanatisme l’a déjà emportée hors d’elle-même? Son cœur est vierge comme son corps, et d’impudiques paroles souillent ses lèvres. Voyez! elle jette la cendre qui la couvrait, elle demande ses vêtemens de noces. Belle, frémissante, à demi nue, elle se contemple devant son miroir : « Tout cela, s’écrie-t-elle en son délire, tout cela t’appartient, Holopherne! je n’y ai plus aucun droit, je te l’ai abandonné. Je me suis retirée au fond le plus caché de mon être; — tremble pourtant! le jour où tu auras possédé l’enveloppe de Judith, Judith en sortira tout à coup comme l’épée sort du fourreau, et elle se paiera en te prenant ta vie! »

Cependant les assiégés de Béthulie sont rassemblés en foule sur les places. On se lamente, on s’agite, on tient conseil. Il n’y a plus d’eau, et bientôt la nourriture manquera. Au milieu de la détresse de tous, l’égoïsme, la méchanceté, toutes les passions basses se démasquent. Le désespoir conduit aussi à l’impiété : « Où est le Dieu d’Israël? murmurent des voix ironiques. C’est à nous sans doute de le protéger, puisqu’il est impuissant à protéger la ville. » Mobile et passionné comme toujours, le peuple passe de l’abattement à la confiance et de l’impiété à l’enthousiasme. Tantôt il est prêt à suivre les conseils de la lâcheté, tantôt il prête l’oreille aux prêtres qui ordonnent de s’adresser à Dieu. Ces alternatives sont amenées par des incidens et des miracles qui peignent bien l’exaltation du peuple de Moïse. Un muet a parlé, un muet a poussé un cri pour dénoncer l’impiété de son frère, et il a dit : Lapidez-le ! — Quand l’impie a subi son supplice, le peuple, soulevé par les amis de l’infortuné, déclare que le muet est un prophète