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peuple moins familiarisé que les Allemands du nord avec les subtilités philosophiques; peut-être comprendra-t-il la nécessité de transformer sa manière. Laissez-le terminer les œuvres que couve depuis long-temps son esprit; quand il aura senti l’influence du monde qui l’entoure, quand il s’occupera davantage de la vérité des passions et beaucoup moins des théories systématiques, il entrera dans une phase nouvelle où son énergique talent est sans doute appelé à de beaux triomphes.

Les ouvrages que M. Hebbel a composés à Vienne sont au nombre de six : c’est une tragédie pleine de passion et de terreur, Hérode et Marianne, — une tragédie bourgeoise, Julia, — une tragi-comédie intitulée une Tragédie en Sicile, — une comédie fantastique, le Rubis, — un petit drame sur Michel-Ange, — et enfin la grande et pathétique composition dont Agnès Bernauer est l’héroïne. Plaçons en tête la comédie le Diamant, écrite précédemment à Hambourg et publiée seulement à Vienne. Je ne compte pas ici d’intéressans articles de critique et une curieuse nouvelle intitulée Schnock. Or, de tous ces ouvrages de théâtre, le dernier, Agnès Bernauer, signale un éclatant progrès. Le poète était allé aussi loin que possible dans son premier système; il avait épuisé les subtilités et proposé toutes ses énigmes: il était bien temps qu’il sortît de cette voie funeste. Un rapide examen de ces productions ne nous montrera qu’une suite d’erreurs entremêlées de rares succès, et l’on verra combien l’apparition d’Agnès Bernauer devait être attendue avec impatience par les amis de ce talent aventureux.

Le Diamant appartient tout-à-fait à la première période de M. Hebbel; cette pièce est dans la comédie ce qu’est Judith dans le genre tragique. Sont-ce des personnages réels que nous avons sous les yeux? sont-ce des mythes et des fantômes? En vérité, l’on n’en sait rien : jamais l’idéalisme du poète ne lui a dicté d’inventions plus bizarres. Un vieux soldat nommé Jacob a donné l’hospitalité à un pauvre diable qui meurt le lendemain dans le lit de son hôte, lui laissant pour prix de ses soins une pierre d’un merveilleux éclat. Le Juif Benjamin a reconnu un diamant; il veut l’acheter, on refuse; il le prend, l’avale et s’enfuit à toutes jambes. Or ce diamant appartient au roi; un de ses ancêtres l’a reçu de Frédéric Barberousse, et une tradition mystérieuse veut que la vie d’une princesse de sang royal soit attachée à la conservation de ce trésor. Un décret est publié : récompense d’un demi-million à qui rapportera ce bijou si précieux, et injonction, sous peine de mort, à tout fonctionnaire de l’état, de faire immédiatement connaître ce qu’il aura pu apprendre sur cette allaire. Cependant le Juif Benjamin, qui se sauvait par le chemin du bois, est arrêté par des souffrances atroces : le diamant lui déchire les entrailles. Un chirurgien vient à passer, et le Juif appelle au secours : il a avalé une pierre, dit-il, croyant avaler un morceau de pain. La chose paraît suspecte,