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critique, et M. Hebbel, accueilli d’abord comme un génie à part, eut bientôt à subir des remontrances proportionnées aux éloges qu’il avait reçus. Ses amis n’en furent que plus ardens. Adversaires et admirateurs, tous se préparèrent à la lutte, et on peut affirmer qu’il n’est pas aujourd’hui, de Berlin à Londres et de Londres à Paris, un événement littéraire plus bruyant que l’apparition d’un drame de M. Frédéric Hebbel. Au milieu de ces invectives ou de ces acclamations y avait-il place pour un conseil impartial? Le développement du poète en aura été peut-être plus spontané : abandonné à sa pente naturelle, il est allé jusqu’au bout de son système; il n’a pas reculé devant les inventions les plus abstruses, et, averti dès-lors par sa propre expérience, c’est du moins ce que je veux croire, il a rompu avec son passé pour suivre une direction nouvelle.

Les œuvres qui nous montrent ces derniers excès de sa manière méritent à peine d’être signalées comme les tristes erreurs d’un rare esprit. C’est d’abord le drame intitulé Julia, cadre extravagant, où M. Hebbel n’a guère placé, au lieu de personnages, que des énigmes indéchiffrables. C’est bien pis encore dans la Tragédie en Sicile. M. Hebbel, pendant son séjour à Naples, était assis un jour au café de l’Europe, à cet endroit de Tolède où se déploie le double mouvement de la rue et de la Piazza-Reale; il contemplait cette agitation bruyante, il songeait surtout à ces mille contrastes du luxe et de la misère qui nulle part dans le monde n’apparaissent plus nus et plus effrayans qu’en ce lieu. Les redoutables problèmes du XIXe siècle se posaient confusément devant lui, revêtus de maintes formes bizarres et sinistres, quand tout à coup, au milieu de cette rêverie, il entend un de ses voisins, un marchand arrivé de Sicile par le dernier paquebot, raconter une tragique aventure qui venait d’émouvoir tout Palerme. Une jeune fille s’enfuit de la maison paternelle pour se soustraire à un mariage odieux et s’unir secrètement à celui qu’elle aime; un prêtre sicilien avait encouragé cette résolution et devait leur prêter son ministère. La jeune fille arrive la première au rendez-vous; elle rencontre deux gendarmes qui lui volent ses parures et l’égorgent. Quand l’amant survient, les deux assassins se jettent sur lui, le frappent jusqu’au sang, puis le traînent chez le podestat et l’accusent du meurtre de la jeune fille. Leur déposition n’inspire aucune défiance; heureusement un paysan occupé à voler des fruits sur un arbre a tout vu et les démasque. M. Hebbel met ce récit en dialogue, et il l’appelle une tragi-comédie. Tout cela est très bref, très simple, d’une simplicité qui vise à l’effet; on voit que, dans la pensée de M. Hebbel, ce drame en dit plus qu’il n’est gros. Cherchez bien, il y a là-dedans symboles sur symboles, symboles moraux et philosophiques d’une part, symboles littéraires de l’autre. Le symbole littéraire, c’est une