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allèrent si loin dans cette querelle, que le duc de Bedford, champion de la Faustina, se battit avec un prince français de la maison d’Orléans qui tenait pour la Cuzzoni et qui fut vaincu. Celle-ci dut en effet quitter l’Angleterre en laissant sa rivale maîtresse du champ de bataille. Elle se retrouvèrent encore une fois à Venise en 1730, mais chacune chantait dans un théâtre différent. La Cuzzoni retourna à Londres en 1734, puis en 1745; elle n’était plus alors que l’image effacée de sa belle jeunesse. Après avoir compliqué sa destinée en épousant un compositeur obscur, Sandoni, après avoir été mise en prison pour dettes en Hollande, cette brillante et admirable cantatrice, qui avait passé la première moitié de sa vie dans l’opulence, au milieu des plaisirs, des illusions de la gloire et de l’amour, mourut à Parme, en 1770, travaillant à fabriquer des boutons de soie pour gagner le morceau de pain de chaque jour. Y a-t-il un roman qui renferme plus de contrastes saisissans que la simple biographie de ces monstres divins qui, pour nous charmer, ont dérobé à Dieu un rayon de sa lumière et de sa grâce efficace? Hogarth, le caricaturiste anglais, dans sa vaste comédie de la Vie de Londres, a crayonné la figure de la Cuzzoni au milieu d’un cadre symbolique qui laisse deviner les inégalités maladives de son caractère.

La Faustina quitta aussi l’Angleterre en 1728, et retourna à Venise chargée de gloire et de guinées. Elle vécut dans la retraite pendant quelque temps, entourée d’adorateurs et répandant autour d’elle les libéralités d’une fée. Elle ne voulut chanter sur aucun théâtre, ayant besoin de repos, disait-elle aux impresarii, qui l’obsédaient de leurs offres d’engagement. Elle ne se fit entendre que dans quelques maisons amies et devant un petit nombre d’auditeurs choisis, parmi lesquels se trouvait toujours son maître Benedetto Marcello. Dans une réunion même où l’illustre musicien faisait entendre ses admirables psaumes qui venaient de paraître, la Faustina chanta avec un tel succès, que Marcello, dit-on, se leva précipitamment de sa chaise et embrassa son élève avec la plus vive émotion. Le psaume si connu :

I cieli immensi narrano
Di Dio la vera gloria,


lorsqu’il fut chanté pour la première fois dans le salon de Marcello, arracha les applaudissemens des gondoliers du Grand-Canal qui stationnaient sous les fenêtres, et dont les acclamations s’élevèrent au ciel comme un cri spontané de ravissement.

La Faustina était cependant importunée du bruit que faisait alors à Venise un jeune compositeur tedesco, déjà renommé pour ses talens et les agrémens de sa personne. Elle avait refusé de l’entendre par caprice et par dépit peut-être de ne l’avoir pas encore aperçu parmi les